L’évolution décisive de la guerre civile syrienne en faveur du régime de Bachar el-Assad et la défaite de Daech ont diminué l’utilité des milices formées par l’Iran dans le conflit syrien. Ces milices ont joué un rôle central dans la survie du régime Assad et la suppression de l’assise territoriale de Daech en Syrie. Aguerries et idéologiquement dévouées, elles donnent à Téhéran une marge de manœuvre considérable pour poursuivre ses intérêts géopolitiques et idéologiques plus agressivement en Asie du Sud, en particulier en Afghanistan et au Pakistan.
Alors que la guerre civile syrienne tire à sa fin, certains militants pakistanais appartenant à la brigade Zainabiyoun sont rentrés tranquillement dans différentes régions du Pakistan. Rien qu'à Karachi, les forces de l'ordre pakistanaises ont arrêté environ 250 à 300 militants appartenant à cette brigade, dont l'effectif exact, difficile à déterminer, est estimé entre cinq et huit mille membres.
L'arrestation récente d'un militant de haut niveau de Zainabiyoun, Abbas Jafri, fait partie de cette vague de répression des forces de l'ordre contre la brigade. Au cours du mois écoulé, le département antiterroriste du Pendjab a arrêté sept militants de Sargodha pour avoir planifié des attaques. De même, en décembre de l'année dernière, deux membres du groupe Agha Hassan de la brigade Zainabiyoun ont été appréhendés à la suite du meurtre d'un religieux du groupe Deobandi, Maulana Dr. Adil.
Bien que les militants pakistanais se rendent en Syrie depuis 2012, ils ont été officiellement organisés en une unité paramilitaire, la Brigade Zainabiyoun, en 2013 à la suite de l'attaque au missile de Daech contre le sanctuaire chiite de Sayyida Zeinab dans le centre de Damas. L'attaque a détruit le mur extérieur du sanctuaire. Selon les médias iraniens, Syed Abbas Mousavi serait le commandant en chef de la brigade Zainabiyoun. Alors que sa mission principale était de protéger les lieux sacrés chiites en Syrie, elle a participé aux opérations du régime d'Assad à Lattaquié, Alep et Damas.
Zeinab, la sœur de l'Imam Hussein et petite-fille du Prophète Mahomet, est une figure vénérée et centrale de l'Islam. L'Iran a exploité l'appel émotionnel de Zeinab parmi la communauté chiite pour recruter et mobiliser la jeunesse chiite pakistanaise. La plupart des recrues pakistanaises de la Brigade Zainabiyoun viennent de Karachi, district de Kurram de l’ancienne région Fata, la vallée de Quetta et une partie de la région du Gilgit-Baltistan. En outre, certains étudiants pakistanais inscrits dans différents instituts d'enseignement iraniens, notamment l'Université internationale Al-Mustafa à Qom, ont également rejoint la brigade Zainabiyoun. La Force Al-Qods du Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI-QF) a attiré des membres de la communauté chiite Hazara dans la brigade Zainabiyoun en leur offrant la citoyenneté iranienne et des emplois avec des salaires mensuels lucratifs.
Le chef sortant du CGRI-QF, Esmail Qaani, qui a pris le commandement après l'assassinat de son prédécesseur, le général Qassem Soleimani, a supervisé les opérations de l'organisation au Pakistan, en Afghanistan et en Asie centrale. Qaani connaît non seulement la région, mais dispose également d'un réseau bien établi.
La Brigade Zainabiyoun, une unité indépendante dotée d'un grand potentiel de combat, peut potentiellement saper la fragile sécurité intérieure du Pakistan en alimentant le conflit sunnite-chiite.
Le Trésor américain a inscrit la brigade Zainabiyoun sur sa liste noire en janvier 2019. Bien que le groupe n'ait pas été interdit au Pakistan, le ministère de l'Intérieur a prohibé deux groupes chiites basés à Parachinar, Ansar-ul-Hussain et sa ramification et Khatam-ul-Anbia, sous la loi de 1997 relative à la lutte contre le terrorisme. Tous deux étaient impliqués dans le recrutement et l'envoi de militants pour participer à la guerre civile syrienne.
La Brigade Zainabiyoun, une unité indépendante dotée d'un grand potentiel de combat, peut potentiellement saper la fragile sécurité intérieure du Pakistan et le conflit sunnite-chiite sujet à la violence. Dans le conflit syrien, les militants pakistanais ont perfectionné leurs compétences de combat asymétriques, développé des capacités conventionnelles sur des armes sophistiquées et créé des liens et des réseaux avec leurs homologues du Moyen-Orient. Plusieurs militants de Zainabiyoun ont juré de continuer leur résistance en tant que « bras droit du chef suprême (iranien) dans le monde ».
Après la révolution iranienne de 1979, la guerre civile syrienne est le deuxième développement le plus conséquent avec un impact transformateur sur le conflit sunnite-chiite au Pakistan. Jusqu'à présent, le militantisme chiite au Pakistan a été défensif et de représailles, principalement en réponse aux attaques contre la communauté chiite. L'exposition au combat actif dans la guerre civile syrienne permet à ces militants de faire passer leur modus operandi de longue date de la défensive à l'offensive s'ils le souhaitent.
La Brigade Zainabiyoun fournit également à l'Iran une nouvelle marge de négociation dans ses relations avec le Pakistan et la protection et la promotion de ses intérêts. Téhéran pourrait en tirer parti pour repousser le groupe anti-iranien et ethno-sectaire basé au Baloutchistan, Jaish ul-Adl. Le groupe a été impliqué dans les enlèvements et les assassinats ciblés de gardes-frontières iraniens dans les zones frontalières irano-pakistanaises et est resté une source de frictions constantes entre les deux pays.
Le CGRI-QF a formé la Brigade Zainabiyoun selon le modèle du Hezbollah. Par conséquent, il est impératif de garder à l'esprit l'évolution organisationnelle du Hezbollah. Ce dernier s'est transformé du groupe débutant des années 80 en un énorme réseau militant dans les années 2000.
Le retour des militants chiites pakistanais pourrait également entraîner un débordement du conflit syrien au Pakistan, du fait de l’inimitié entre l'EI et la brigade Zainabiyoun. Cette inimitié peut continuer à se manifester sous la forme de meurtres et d'attaques de représailles. L'attentat à la bombe de Lashkar-e-Jhangvi al-Alami en décembre 2015 dans le centre-ville de Parachinar, qui a coûté la vie à 23 chiites, en est un bon exemple.
Revendiquant l’attentat, le porte-parole du groupe a qualifié l'attaque de représailles à la participation des jeunes chiites de Kurram à la guerre civile syrienne. Plus récemment, un message audio de Daech a justifié de la même manière les impitoyables décapitations de 11 Hazara chiites qui travaillaient dans une mine du charbon à Mach, dans la province du Balouchistan.
Au niveau diplomatique, le Pakistan doit se tourner vers l'Iran pour s'attaquer au problème des militants chiites pakistanais qui reviennent de Syrie. Au niveau opérationnel, une vigilance continue est nécessaire pour s'assurer que Daech et la Brigade Zainabiyoun ne font pas du Pakistan un champ de bataille par procuration. Au niveau politique, de nouveaux cadres juridiques et antiterroristes sont nécessaires pour faire face à l'évolution de la menace militante.
Abdul Basit Khan est chercheur à la S. Rajaratnam School of International Studies, à Singapour.
Twitter: @basitresearcher.
NDLR: Les opinions exprimées par les rédacteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com