WASHINGTON: Les élus démocrates désignés « procureurs » dans la procédure en destitution de Donald Trump ont formellement transmis lundi soir son acte de mise en accusation au Sénat américain, marquant l'ouverture officielle du procès historique de l'ex-président pour « incitation à l'insurrection ».
Dans un silence solennel, les neufs « procureurs » désignés par la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, ont traversé, jusqu'au Sénat, les mêmes longs couloirs ornés de statues et tableaux pris d'assaut par des manifestants pro-Trump lors de l'attaque meurtrière du Capitole, le 6 janvier. Le procès débutera le 9 février.
Derrière ce délai, sur lequel républicains et démocrates se sont mis d'accord : la volonté de laisser plus de temps au milliardaire républicain pour préparer sa défense. Mais aussi à Joe Biden pour enclencher sa présidence, en voyant plus de membres de son cabinet confirmés par le Sénat et, espère-t-il de premiers grands projets de lois adoptés.
En attendant, le nouveau président multiplie les décrets pour tenter de redresser la première économie mondiale et lutter contre l'épidémie.
Après un week-end d'un silence contrastant grandement avec les tweets qui rythmaient les fins de semaine de Donald Trump, le démocrate a signé lundi un nouveau décret renforçant le « Made in America ».
« Impeachment » historique
Avec sa mise en accusation pour « incitation à l'insurrection » votée à la Chambre des représentants le 13 janvier, Donald Trump est devenu le premier président des Etats-Unis à tomber deux fois sous le coup d'un « impeachment ».
Peu avant 19H00 (00H00 GMT mardi), les « procureurs » démocrates de la Chambre traverseront les couloirs qui les séparent du Sénat, sous le dôme du Capitole, pour aller présenter l'acte d'accusation du 45e président des Etats-Unis.
Puis ils le liront devant les sénateurs.
enquête... au ministère de la Justice
Une enquête administrative a été ouverte lundi pour déterminer si des responsables au sein du ministère américain de la Justice ont tenté de peser pour « altérer les résultats de l'élection présidentielle » en faveur de Donald Trump.
L'inspecteur général du ministère, Michael Horowitz, a annoncé ces investigations après des articles de presse mettant en cause Jeffrey Clark, un juriste en charge des affaires de droit civil au sein de cette puissante administration.
Assurant contre toute évidence avoir été victime de fraudes, Donald Trump a, selon le New York Times et le Washington Post, comploté début janvier avec Clark pour tenter d'évincer le ministre par intérim Jeffrey Rosen, qui refusait de le suivre dans sa croisade.
L'idée était que Clark le remplace et intervienne au nom du ministère pour refuser de certifier la victoire du démocrate Joe Biden dans l'Etat-clé de Géorgie.
Le président aurait, selon ces médias, renoncé face à la menace de démissions massives au sein du ministère.
Donald Trump est accusé d'avoir incité ses partisans à se lancer à l'assaut du siège du Congrès le 6 janvier, pendant que les parlementaires certifiaient la victoire de son rival Joe Biden à la présidentielle.
« Vous ne reprendrez jamais notre pays en étant faibles. Vous devez montrer de la force et vous devez être forts », avait-il lancé aux manifestants peu avant l'attaque du Capitole, qui a fait cinq morts.
Ces scènes de violences ont bouleversé l'Amérique, et poussé plusieurs grands noms républicains à dénoncer le comportement du tempétueux milliardaire.
Mais une condamnation au Sénat apparaît à ce stade improbable, le magnat de l'immobilier, toujours très populaire auprès de ses électeurs, comptant encore sur des soutiens clés à la chambre haute.
Procès « stupide »
Avant la cérémonie, le Sénat approuvera lundi après-midi la nomination de Janet Yellen comme ministre de l'Economie et des Finances. Le vote de confirmation du futur chef de la diplomatie américaine Antony Blinken pourrait lui intervenir dès mardi.
Dressant un sombre tableau des crises qui frappent les Etats-Unis, Joe Biden a proposé un plan titanesque de relance de l'économie et de lutte contre la pandémie de 1 900 milliards de dollars.
Mais son adoption au Congrès semble compromise par les vives oppositions de républicains et les réticences de démocrates modérés.
Les négociations ne font « que commencer », a tempéré Joe Biden lors d'une conférence de presse lundi, en se donnant « deux semaines » pour avoir une idée claire du soutien pour ce vaste plan au Congrès.
Les démocrates contrôlent désormais le Congrès. Mais leur majorité est extrêmement fragile au Sénat : ils occupent 50 sièges contre 50 pour les républicains. En cas d'égalité parfaite dans un vote, la vice-présidente Kamala Harris a le pouvoir de faire pencher la balance du côté démocrate.
Mais ils auront besoin de 60 voix pour soumettre au vote les grandes réformes. Et des deux tiers du Sénat pour condamner Donald Trump.
Un objectif qui semble difficile à atteindre.
Retour de journalistes écartés
Les médias internationaux publics des Etats-Unis ont à nouveau à leur tête des journalistes chevronnés, alors que Donald Trump avait nommé des dirigeants accusés de remettre en cause l'indépendance des rédactions, au risque de nuire à leur crédibilité.
Michael Pack, un producteur de films conservateur choisi par l'ex-président républicain pour diriger la holding qui chapeaute notamment les radios Voice of America (VOA), Radio Free Europe/Radio Liberty ou Radio Free Asia, a démissionné juste après l'entrée du démocrate Joe Biden à la Maison Blanche la semaine dernière.
Il avait tenté d'enfreindre la règle, garantie par le Congrès américain, selon laquelle le directeur général ne peut s'immiscer dans les décisions éditoriales. Et à la fin du mandat de Donald Trump, il avait invité le secrétaire d'Etat Mike Pompeo à s'exprimer au siège de Voice of America, où il avait accusé la radio de « dénigrer » les Etats-Unis sans prendre de questions des journalistes de l'antenne.
Le président Biden a nommé Kelu Chao, journaliste à VOA depuis plus de 40 ans, comme directrice générale par intérim de la holding.
Même si le chef des républicains au Sénat, Mitch McConnell, n'a pas exclu de voter pour sa condamnation, il ne compte pas influencer ses troupes publiquement, et s'est bien gardé lundi dans l'hémicycle de se prononcer sur ce procès.
« Je trouve ce procès stupide », avait tonné la veille le sénateur Marco Rubio sur Fox. « Le pays est déjà en flammes et cela revient à verser de l'essence sur ce feu ».
D'autres espèrent même bloquer tout bonnement la tenue du procès, en déclarant anticonstitutionnel de juger un ex-président.
« Cela ne fait aucun sens », a rétorqué le chef de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, lundi. Car cette « théorie (...) reviendrait à donner un passe-droit constitutionnel à tous les présidents ».
Grand critique de Donald Trump, le sénateur Mitt Romney est l'un des rares républicains à soutenir la procédure, sans toutefois se prononcer encore sur le sens de son vote.
Cet ex-candidat à la présidentielle fut le seul républicain à condamner Trump lors de son premier procès en destitution, en février 2020 dans l'affaire ukrainienne.
Le président avait alors été acquitté.