DAHAB: C’était il y a dix ans. «Pain, dignité, justice», scandaient des milliers d’Égyptiens sur la place Tahrir, au centre du Caire. Un mouvement qui commence symboliquement le 25 janvier, date de célébration de la police, afin de demander la fin de l’état policier. Une thawra («révolution») qui est inspirée par la Tunisie et qui se soldera par huit cent cinquante morts. Le 11 février, Hosni Moubarak, chef de l'État depuis trente ans, quitte le pouvoir, et le remet au Conseil suprême des forces armées (CSFA).
Alors que la deuxième élection démocratique du pays s’ouvre un an plus tard, Mohammed Morsi, le candidat des Frères musulmans, est élu face à l’ancien ministre de l’Aviation civile du président déchu Moubarak. Mais, un an après cette élection, de nouvelles manifestations commencent, poussant Morsi hors du pouvoir. C’est alors que l’armée prend le relais, et le maréchal Sissi devient, le 8 juin 2014, président de la République arabe d’Égypte.
La jeunesse égyptienne reste en grande partie en dehors de la politique du pays. Quelques groupes d’opposition, tels que le Front de salut national ou les Frères musulmans, tentent de s’imposer, mais ils sont dirigés depuis des années par la même classe aisée, déconnectée de la plupart des revendications du peuple. «Je ne m’intéresse pas trop à la politique, tout du moins je n’en parle pas autour de moi», explique Samy, la trentaine, venue à Dahab pour faire de la plongée avec des amis. Cet ingénieur en mécanique vit au Caire, à quelques pas de la place Tahrir. «Je suis allé manifester bien sûr, c’était sur ma route!», rit-il. «C’était un superbe moment, il y avait toutes les classes sociales, et tous les partis politiques!»
Ce chrétien copte ne s’est pourtant jamais vraiment plaint du régime de Moubarak: «On savait qu’il fallait vivre notre vie sans se soucier de la politique.» Un point de vue partagé par la majorité de cette jeunesse qui a grandi sous la présidence de l’homme qu’ils surnommaient «la vache qui rit», car il arborait toujours le même sourire lors des cérémonies officielles. Antoine est assis à sa droite. Pour lui, cette révolution «était un symbole d’espoir, toute l’Égypte se retrouvait, côte à côte». Cet ingénieur qui travaille dans une entreprise privée se réjouit de voir les infrastructures du pays s’améliorer. «En trois ou quatre ans, Sissi a réussi à rénover les hôpitaux, les routes. Nous allons bientôt avoir le TGV et le métro, au Caire comme à Alexandrie, et les deux vont s’améliorer. Le réseau électrique s’est nettement amélioré également», insiste-t-il.
Un avis partagé par Moustapha, installé, avec deux de ses amis, dans un café de l’une des rues principales de Dahab. «Cela faisait trente ans que Moubarak était en place, il fallait un changement, et les nouveaux projets d’infrastructures nous mènent dans la bonne direction. Mais il faudra encore trente ans pour voir les réels changement sociétaux». Ce banquier de 26 ans et ses amis viennent eux aussi du Caire. Ils sont venus profiter de la mer Rouge. Leurs dates de vacances coïncident avec l’anniversaire de la révolution, mais «nous n’y avons même pas pensé», reconnaissent-ils à l’unisson. Les trois jeunes sont fiers de leur Égypte, et de ce qu’elle représente aujourd'hui dans le monde.
«Aujourd’hui, les choses vont beaucoup mieux, c’est certain. À mon avis, la révolution a été un succès car l’Égypte est un meilleur pays aujourd’hui», explique Karim, 26 ans, qui vient à Dahab pour la cinquième fois. «Nous nous sentons bien plus en sécurité qu’avec Morsi, par exemple», admet-il. Mais la situation économique, elle, n’est pas encore au beau fixe: «Il y a énormément de jeunes qui ne trouvent pas de travail. Nous avons de la chance!», explique Amr, assis sur le canapé du café. L’Égypte comptait environ 40% de ses 15-29 ans au chômage en 2017, selon la Banque mondiale. Un chiffre qui baisse, avec les projets mis en place par le maréchal Sissi. Le taux de chômage global en Égypte est d’environ 8,7% en 2020 au lieu de 11,4% en 2018.
Selon Statistica, il devrait tomber à 5% en 2022. Alors, aujourd’hui, l’heure n’est pas à la fête. La révolution est vue comme un beau souvenir, mais désormais passé. «Nous vivons notre vie, nous les jeunes, sans trop nous préoccuper de la politique», fait savoir Samy, alors qu’il termine une séance de plongée. Une vie qui, dans ce village de Dahab en tout cas, semble rythmée au son de la musique blues jouée le soir et des vagues qui s’échouent au bord des restaurants, loin, très loin des préoccupations actuelles de la crise sanitaire et économique qui frappe le monde entier.