PARIS: "J’entendais toujours les avions qui franchissent le mur du son, les drones israéliens", raconte à l’AFP Joumana Sleiman-Haidar, Libanaise récemment arrivée en France pour fuir la guerre ravageant son pays. "J’ai développé une phobie".
A Paris depuis le 2 octobre, soit dix jours après le démarrage de l'intense campagne de frappes aériennes de l'armée israélienne contre les fiefs du groupe pro-irainen Hezbollah au Liban, Joumana, 50 ans, cheveux teintés de roux et sourire bienveillant, pensait rester quelques jours en France avec son mari Jihad, le temps d'une visite à leurs enfants. Ils ont finalement repoussé leur retour.
"On ne pouvait plus rester là-bas, parce qu'on ne pouvait ni aller au travail ni rester à la maison", s'attriste Jihad depuis l'appartement que lui prêtent ses enfants, à Boulogne, en proche banlieue parisienne. "On entendait tout le temps les bombardements, presque tous les jours".
Le couple habitait Zalqa, petite ville proche de Beyrouth, où vivre sereinement était devenue impossible. "On ne peut pas s’habituer à la guerre. Ma femme, lorsqu’elle entend un avion ici, elle se cache dans la salle de bain", raconte tristement Jihad, 64 ans.
A l'instar du couple, Christelle Kabboul, à Paris depuis le 13 octobre pour poursuivre sa thèse, ressent encore l'impact du conflit, même à l'abri dans son quotidien parisien.
"En France, les bruits de la ville, du métro qui passe, des portes qui claquent me surprennent à chaque fois", dit-elle d'une voix tremblante. "Au Liban, je n’arrivais pas à dormir. Maintenant, je fais des cauchemars d'enfants qui meurent, de bombardements et aussi des insomnies".
La jeune femme de 29 ans n'était qu'à quelques kilomètres des frappes israéliennes qui ont tué le 27 septembre le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah.
"J’ai entendu une succession de bombardements", se souvient-elle. "C’était comme un séisme", poursuit-elle avant de confier sa "peur" et son "impuissance". "Je me suis juste réfugiée sous mon bureau".
Engagée dans un collectif qui soutient les déplacés libanais à Beyrouth, Christelle dit avoir longuement hésité à retrouver Paris, où la "culpabilité" d'avoir quitté son pays l'étreint désormais.
- 'Traumatisée' -
Après quasiment un an d'échanges de tirs frontaliers avec le Hezbollah, Israël a entamé au Liban le 23 septembre une intense campagne de frappes aériennes contre les fiefs de cette organisation, puis le 30 une offensive terrestre dans le sud.
Israël dit vouloir éloigner le Hezbollah de sa frontière et mettre un terme aux tirs de roquettes ayant forcé au déplacement 60.000 Israéliens. Le Hezbollah, affirmant agir en soutien au Hamas, avait ouvert un front contre Israël le 8 octobre 2023, au lendemain de l'attaque sans précédent du mouvement islamiste palestinien en Israël, qui a déclenché la guerre dans la bande de Gaza.
Christelle et le couple Sleiman-Haidar font partie des quelques Libanais qui ont pu venir en France, parce qu'ils y font leurs études ou car ils avaient obtenu un visa en amont de l'intensification de la guerre.
Mi-octobre, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot faisait état de quelque 3.000 ressortissants français ayant "regagné la France" en raison du conflit.
Alors que la France, via M. Barrot, affirmait encore mercredi qu'elle "ne ferait pas défaut" au Liban, et que la diplomatie française se bat, pour l'instant sans grand succès, pour un cessez-le-feu, les Libanais rencontrés dans l'Hexagone s'agacent pourtant que leurs proches ne puissent solliciter de visas.
Telle Yara Gharbieh, à Perpignan depuis un an, qui a essayé pendant plus d’un mois d’obtenir un rendez-vous pour faire venir sa mère et sa petite sœur en France. Sans succès. Le site de TLScontact, seul organisme habilité à délivrer des visas français pour les Libanais, semble ouvrir des créneaux au compte-goutte, a constaté l'AFP.
"On pensait que la France était avec nous", s'énerve-t-elle, quand sa famille, "traumatisée", a dû fuir Nabatiyeh, dans le sud du Liban, du fait des frappes israéliennes.
Interrogé par l'AFP, le ministère français des Affaires étrangères fait état d'agents du consulat de Beyrouth "pleinement mobilisés" pour les ressortissants français, le service des visas étant "concentré sur les priorités du moment". Une mesure "temporaire", indique-t-il, sans plus de précision.
Au moins 1.580 personnes ont été tuées au Liban depuis le 23 septembre, d'après un décompte de l'AFP basé sur des données officielles. L'ONU recense quelque 800.000 déplacés.