PARIS : Le programme de résidence d’artistes d’AlUla a fait ses débuts en France lors d’Art Basel Paris ce mois-ci avec “Orbis Tertius,” une exposition mettant en lumière les œuvres de 20 artistes internationaux. Ce programme a été lancé en 2021 par la Commission Royale pour AlUla, en partenariat avec l’Agence française pour le développement d’AlUla.
L’exposition fait partie du programme global d’Arts AlUla, qui cherche à positionner l’ancienne oasis en tant que centre émergent d’art et de créativité. Pendant des millénaires, AlUla a été un carrefour essentiel du commerce et de la culture. Elle est le foyer de Hegra, le premier site d’Arabie saoudite inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, et constituait une étape clé sur la route de l’encens. Le riche héritage préislamique d’AlUla et ses paysages à couper le souffle continuent d’inspirer des formes d’expression artistique innovantes, comme en témoigne l’exposition “Orbis Tertius”.
L’artiste et photographe Louis-Cyprien Rials a déclaré à Arab News que l’essence de sa résidence reposait sur “l’idée presque troublante de n’être qu’une infime partie d’un lieu qui paraît éternel, et qui nous rappelle, facilement, notre propre insignifiance”.
Situé dans la palmeraie de Mabiti AlUla et doté d’une résidence d’artistes récemment ouverte à Al-Jadidah, le programme offre un cadre idéal pour permettre aux artistes de réfléchir au rôle et aux méthodes de la création dans le monde contemporain. Il encourage un dialogue dynamique et enrichissant entre les artistes et la communauté locale d’AlUla.
Selon le conservateur et le responsable de l’art et des industries créatives à AFALULA, Arnaud Morand, ce programme de résidence est véritablement “unique”. La participation se fait exclusivement sur invitation, après la soumission d’un portfolio et d’une lettre d’intention. La répartition des nationalités est équilibrée, avec environ la moitié des artistes venant du monde arabe et l’autre moitié de l’international.
“Les artistes devaient avoir une pratique solide qui suscite notre intérêt, en explorant les liens entre passé et futur”, a expliqué M. Morand. “Dans le cadre unique et intense de cette oasis désertique, ils ont collaboré étroitement avec les communautés locales. Beaucoup avaient déjà travaillé avec des scientifiques et experts. Un minimum de 10 semaines sur le terrain était requis. Les artistes ont eu l’occasion de rencontrer et d’échanger avec les spécialistes d’AlUla, notamment des archéologues, géologues, anthropologues, agronomes, botanistes, conservateurs du patrimoine et experts en environnement. Sans cet engagement en termes de temps, leur candidature ne pouvait être retenue”.
M. Morand a choisi le thème de l’exposition, “Orbis Tertius, un voyage entre fictions et mythes”, inspiré par l’écrivain argentin Jorge Luis Borges. Dans ses “Fictions”, Borges explore comment la compréhension de notre monde peut être enrichie en fusionnant mythes et légendes anciens avec la réalité observée.
“AlUla se réinvente chaque jour en tant qu’utopie du 21e siècle,” a déclaré M. Morand. “Le programme de résidence offre aux créatifs un cadre unique pour s’engager pleinement dans un projet plus vaste. Il permet également de mieux comprendre comment la communauté aborde les changements. En définitive, il nous oriente dans la bonne direction en s’appuyant sur les perceptions et les interrogations des artistes, tout en leur offrant un temps précieux et un contexte incomparable pour approfondir leur pratique”.
À Art Basel, “Orbis Tertius” a été présentée sur quatre étages de la galerie située au 5 rue Saint-Merri, à deux pas du Centre Pompidou. Les œuvres transcendaient les médiums traditionnels. Les 20 artistes contemporains ont exposé 43 créations, allant des peintures, sculptures, vidéos et photographies, à la poésie, calligraphie, fabrication de briques, ainsi que des installations et performances en direct.
Au rez-de-chaussée, la sculpture en aluminium de 4,5 mètres intitulée “The Guardian” (Le gardien) de l’artiste koweïtienne Monira Al-Qadiri dominait l’espace. Son œuvre interroge les représailles de la nature face à l’intervention humaine dans l’environnement. Cette sculpture totémique s’inspire du pommier de Sodome (Calotropis Procera), une plante native de la région qui prospère sur des sols arides et peut survivre jusqu’à trois ans sans la moindre goutte d’eau. La plante sécrète une sève laiteuse qui, selon la tradition bédouine, pourrait rendre aveugle.
L’artiste pluridisciplinaire Anhar Salem, originaire de Djeddah, se spécialise principalement dans le cinéma. Son film, “A Day in AlUla” (Une journée à AlUla), est une série de huit portraits sociaux délicatement réalisés, capturant avec finesse une journée dans la vie des habitants, locaux et expatriés, d’AlUla.
“J’ai dû choisir entre explorer AlUla à travers son paysage et son histoire ou à travers ses aspects sociaux et humains”, explique Mme Salem. “J’ai finalement opté pour cette dernière approche, en engageant des conversations simples avec tous les habitants d’AlUla que j’ai croisés”.
Les frères Abdulrahman et Turki Gazzaz, basés à Djeddah, ont fondé le studio d’architecture, de design et de recherche expérimentale Bricklab en 2015. Durant leur résidence, ils ont exploré les techniques de la terre battue pour développer un matériau de construction résilient, spécifiquement adapté à la région. En mêlant du sable récolté dans différentes zones d’AlUla à du béton, de l’époxy et divers additifs artificiels, leurs briques condensent l’histoire et les récits qui ont façonné AlUla au fil du temps.
Reem Al-Nasser, basée à Jizan, fonde son travail sur des études anthropologiques et explore des concepts tels que le temps, l’espace et l’astrologie. Pendant sa résidence, elle a créé “Alma of the North” (Alma du nord), une installation en acier brillant, composée de portes ornées de symboles archéologiques et astronomiques tirés de l’histoire d’AlUla.
L’installation vidéo immersive “The Desert Keeper” (Le gardien du désert) d’Ayman Zedani, basé à Riyad, est le résultat de plusieurs années de recherche sur une plante parasite du désert d’Arabie. Cette plante a la particularité d’acquérir des gènes de sa plante hôte, assurant ainsi la survie de sa descendance. Son œuvre associe des images de cette plante à un voyage cosmique généré par ordinateur, accompagné de la voix off de l’écrivaine et poétesse Wided Rihana Khdraoul.
“AlUla a toujours été un carrefour de cultures et un berceau de créativité”, a déclaré Nora Aldabal, directrice exécutive des arts et des industries créatives de l’UCR, dans un communiqué de presse. “Avec le programme de résidence d’artistes d’AlUla, nous mettons en valeur l’incroyable vision artistique qui y fleurit et démontrons son pouvoir unique de rapprocher les cultures et d’inspirer le dialogue”.
“Orbis Tertius,” ajoute-t-elle, “témoigne de l’incroyable inspiration que les artistes et créateurs puisent à AlUla – un lieu où le monde se connecte à une histoire millénaire tout en explorant des formes d’expression artistiques contemporaines. L’ambition d’AlUla dans les domaines de l’art, du design et de la culture est de forger un avenir prometteur pour la région, en créant des emplois et des opportunités d’enrichissement culturel pour ceux qui y vivent, y travaillent et la visitent”.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com