ANGOULÊME, FRANCE : Des rues bondées, des expositions prises d'assaut... Le festival de la BD d'Angoulême a fait le plein cette semaine, malgré des coulisses agitées par une virulente mise en cause de son management et de sa stratégie, jugée « mercantile » par ses détracteurs.
Avant même le début de cette 52^e édition, refermée dimanche, le coup de semonce est venu d'un article de l'Humanité magazine accusant le festival international de la bande dessinée (FIBD) de « dérives », notamment avec une hausse de 25 % des tarifs pour le public, et d'avoir licencié une salariée peu après sa plainte pour viol en 2024.
Le FIBD, dont l'organisation est confiée depuis 2007 à la société 9e Art+, a aussitôt défendu sa stratégie de « toucher le plus grand nombre » et assuré n'avoir jamais « failli dans ses obligations » vis-à-vis de son ex-employée.
Mais l'incendie s'est vite propagé dans le microcosme de la bande dessinée. « Ça secoue beaucoup de gens dans le festival comme chez les auteurs », confie une source interne.
Sur les réseaux sociaux, des auteurs de bande dessinée ont publié des dessins peu amènes à l'attention du président du 9e Art+, Franck Bondoux, à la suite d'un premier message posté par Florence Cestac, grand prix d'Angoulême en 2000.
« C'est l'histoire du viol qui m'a poussée à faire ça, j'ai trouvé ça immonde », confie-t-elle à l'AFP, ajoutant par ailleurs avoir eu l'impression que le festival « perd son âme ».
Sur leurs stands à Angoulême, les éditeurs indépendants ont, eux, affiché des messages de soutien à l'ex-salariée, qui vient de saisir les prud'hommes pour contester son licenciement, selon son avocat Arié Alimi.
- Moyen de pression -
Plusieurs intervenants ont également interpellé le festival lors de la remise des Fauves 2025, samedi soir, qui a notamment sacré Deux filles nues de Luz.
L'affaire a ému jusqu'au ministère de la Culture qui a indiqué à l'AFP être « particulièrement interpellé » par cette affaire et être plus généralement inquiet des « dysfonctionnements » au sein du FIBD.
Cette semaine, les grands éditeurs ont également exprimé leur « profonde préoccupation » concernant un festival crucial ayant essuyé des pertes en 2024.
Leur syndicat national a appelé « instamment » à lancer un « appel d'offres en bonne et due forme », alors qu'une échéance majeure approche pour le renouvellement de la convention liant l'association FIBD Angoulême, fondatrice du festival, à 9e Art+.
Tacitement reconduite en 2017, elle le sera à nouveau en 2027 si elle n'est pas dénoncée d'ici à mai.
Cette convention de droit privé ne peut formellement être dénoncée que par l'association FIBD Angoulême, dont la présidente, Delphine Groux, a indiqué en décembre qu'elle n'agirait pas « sous la pression ». Sollicitée par l'AFP, l'association n'a pas donné suite.
Les regards se tournent aussi vers les pouvoirs publics qui fournissent près de la moitié du budget du festival, soit 6,3 millions d'euros.
Alain Rousset, président de la région Nouvelle-Aquitaine et premier contributeur public (550 000 euros de subventions directes et 500 000 euros d'équipements), appelle à « sortir par le haut » pour ne pas entacher « le succès culturel, économique et social » du festival.
« Comme un village gaulois »
« Nous allons examiner les garanties à demander », affirme l'élu socialiste à l'AFP. Mais il souligne les « efforts de transparence » du festival depuis un rapport de la Chambre régionale de la Cour des comptes de 2021 qui avait pointé une « organisation complexe » sans relever d'irrégularités.
Élu d'opposition à Angoulême, Raphaël Manzanas n'est pas convaincu. « C'est encore opaque », dit-il à l'AFP, pointant notamment les échanges comptables entre 9e Art+ et une autre société détenue par M. Bondoux.
Les marges de manœuvre sont toutefois réduites, reconnaît-il. « On peut jouer le bras de fer et menacer de ne pas voter la subvention de 500 000 euros, mais on serait accusés de nuire à un festival très important pour notre ville », explique-t-il.
Sollicité par l'AFP, M. Bondoux n'a pas répondu, mais le directeur artistique adjoint du festival, Fausto Fasulo, juge « hallucinante » l'idée d'une dérive mercantiliste.
« Quelqu'un est-il capable de nous regarder droit dans les yeux et de nous dire que la programmation de cette année sert le grand capital ? », lance-t-il, déplorant que le festival serve « trop souvent de catalyseur » des tensions récurrentes dans l'édition.
De fait, le festival d'Angoulême est loin d'être en proie à sa première crise. « Ici, c'est comme un village gaulois », résume une habituée des lieux. « Il y a toujours beaucoup de mécontents. »