TUNIS : Le 30 juillet dernier, le président du mouvement Ennahdha Rached Ghannouchi a réussi à conserver son siège de président du Parlement. La motion de retrait de confiance présentée par le tiers des députés n’a pas recueilli les 109 voix nécessaires pour le faire remplacer.
Rached Ghannouchi a certes remporté une victoire ponctuelle, mais il n’a pas gagné la guerre. Une victoire somme toute relative, puisqu’il ne fallait que douze voix supplémentaires pour qu’il soit destitué. De plus, c’est la présidente du Parti destourien libre, et ex-partisane de Ben Ali, Abir Moussi, qui en sort grande gagnante, puisqu’elle est à l’origine de cette motion.
Cette ennemie jurée de Rached Ghannouchi - et de l’intégrisme de façon générale - a mené une véritable guerre d’usure contre Rached Ghannouchi dès son élection à la présidence de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), le 13 novembre 2019, en particulier, et contre le mouvement Ennahdha en général. Elle est à l’origine de la mobilisation ayant abouti à la présentation de la motion.
Prenant prétexte de la moindre déclaration ou initiative du président de l’ARP et de son parti, la présidente du PDL a multiplié les interventions musclées en plénière pour marteler ses accusations d’implication dans le terrorisme et d’inféodation au Mouvement mondial des frères musulmans et à l’axe Turquie-Qatar.
Elle a surtout fini par organiser un sit-in permanent, y compris dans la salle des plénières de l’ARP, pour exiger la démission de Rached Ghannouchi. Au point que ce dernier a fini par perdre son sang-froid le 20 juillet. Énervé par le chahut de quatre députés du PDL pendant son allocution en ouverture d’une journée d’études sur l’élaboration d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption, le président de l’ARP est sorti de ses gonds et a souhaité « la mort » à ses détracteurs.
Il faut dire que Rached Ghannouchi leur a grandement facilité la tâche. Il leur a donné du grain à moudre en multipliant les coups de canif au règlement intérieur de l’Assemblée – octroi de prérogatives et d’avantages à son chef de cabinet – et même à la Constitution – empiètement sur les prérogatives diplomatiques du président Kais Saied.
Le reproche le plus grave adressé au président du Parlement est d’avoir profité de sa position pour servir les intérêts de son parti. Notamment en s’alignant sur la position de la Turquie et du Qatar dans la guerre civile libyenne, favorable au gouvernement de Tripoli conduit par Fayez Al Sarraj.
Rached Ghannouchi en paie aujourd’hui le prix fort. Sa punition suprême est d’avoir, par sa gestion catastrophique des affaires de l’Assemblée, fait faire un grand bond en avant au parti d’Abir Moussi dans les sondages.
En effet, les deux plus récents sondages créditent le PDL d’une première place aux prochaines élections avec respectivement 28 et 29 % des voix. Soit un bond de plus de 20% par rapport à son score aux législatives d’octobre 2019. Ce qui veut dire que les partisans de l’ancien régime sont désormais, et pour la première fois depuis la chute de Ben Ali le 14 janvier 2011, en position de reconquérir le pouvoir. Un scénario que le maintien du président du mouvement Ennahdha à la tête de l’ARP risque fort de rendre irréversible.