PARIS: Les Français ont commencé à voter dimanche pour le second tour des législatives, un scrutin historique dont le Rassemblement national pourrait sortir vainqueur, avec une grande incertitude toutefois sur sa capacité à obtenir la majorité absolue à l'Assemblée et à pouvoir former un gouvernement.
Dans un des bureaux de vote de Rosheim, petite commune de 5.000 habitants à 25 kilomètres de Strasbourg, la file d'attente est déjà longue.
"On est à un tournant de l'histoire de la République", relève Antoine Schrameck, retraité de 72 ans, "angoissé" par la situation.
Même fébrilité chez Emilie, une fonctionnaire de 44 ans. "J'espère qu'il y aura un sursaut dans la participation, comme au premier tour. Après j'ai donné mon vote, advienne que pourra".
Les premières personnalités politiques ont voté à l'image de l'ancien Premier ministre Edouard Philippe (Horizons) dans son fief du Havre en Seine-Maritime, du maire RN de Perpignan dans les Pyrénées-Orientales Louis Aliot ou du député sortant LFI Alexis Corbière à Bagnolet en Seine-Saint-Denis.
Les électeurs peuvent se rendre aux urnes jusqu'à 18H00 ou 20H00 dans les grandes villes, heure à laquelle se dessineront les premiers résultats.
76 députés ont été élus dès le premier tour et il en reste 501 à désigner.
Dimanche dernier, les Français ont placé le Rassemblement national - et ses alliés issus de LR - largement en tête (33%), devant l'alliance de gauche Nouveau Front populaire (NFP, 28%), et le camp présidentiel Ensemble (20%).
La mobilisation s'annonce toujours forte avec une participation attendue au même niveau qu'au premier tour où elle avait atteint 66,7%, du jamais-vu depuis la précédente dissolution en 1997.
Les premiers résultats sont tombés dans certains territoires d'outre-mer, des résultats qui ne présument en rien d'une tendance nationale.
En Guadeloupe, les deux candidats RN qualifiés pour le second tour n’ont pas transformé l’essai: les quatre députés sortants indépendants et de gauche retrouvent leur siège, avec des scores compris entre 69 et 77,5% des voix.
En Martinique, les quatre circonscriptions vont à des candidats du Nouveau Front populaire.
En Guyane, les deux sortants soutenus par le NFP sont confortés, Davy Rimane totalisant même 100% des suffrages, faute d’adversaire.
- nombreux désistements -
Un gouvernement issu de l'extrême droite en France serait une première depuis la Deuxième Guerre mondiale.
Mais la campagne de l'entre deux-tours a été marquée par le désistement de très nombreux candidats du camp macroniste et du NFP, au nom d'un "front républicain" revigoré par la perspective d'une nomination du président du RN Jordan Bardella, 28 ans, à Matignon.
Au total 130 candidats NFP et 80 Ensemble se sont retirés, faisant passer le nombre de triangulaires de 306 à 89.
Conséquence de ces retraits, la perspective d'une majorité absolue pour le RN semble s'éloigner.
Quelques heures avant la fin de la campagne électorale vendredi à minuit et le début d'une période de réserve, plusieurs sondages semblaient montrer un resserrement entre les trois blocs (RN/NFP/Ensemble).
Encore faut-il noter la fragilité de ces prévisions avec, comme le soulignait le président délégué d'Ipsos Brice Teinturier vendredi, une "cinquantaine de circonscriptions qui se joue dans un mouchoir de poche".
Marine Le Pen juge, elle, "sérieuses" les chances du RN "d'avoir une majorité absolue à l'Assemblée", estimant que les projections en sièges "ne sont pas une science exacte".
- "Au pied du mur" -
Si tel n'était pas le cas, s'ouvrirait après des élections éprouvantes pour les partis et le pays une période d'incertitude et d'intenses tractations.
Le Rassemblement national en situation de majorité relative parviendra-t-il à rallier les voix lui manquant pour constituer une majorité absolue?
A l'inverse, les autres partis réussiront-ils à constituer une majorité alternative, comme l'ont appelé de leurs voeux plusieurs ténors de la majorité?
Dans cette hypothèse, "chacun sera quelque part au pied du mur pour avancer au service de nos concitoyens" au-delà des "clivages", a affirmé le Premier ministre Gabriel Attal, en écartant la possibilité de gouverner avec le RN ou LFI, qui ne le souhaitent de toute façon pas.
La droite ne semble pour l'instant guère encline à entrer dans une construction de ce type. "Il est hors de question de faire quelque coalition que ce soit avec qui que ce soit", a déclaré mercredi à l'AFP l'ancien président du groupe LR à l'Assemblée, Olivier Marleix.
Ecologistes et socialistes semblent encore indécis. Marine Tondelier (EELV) estime qu'il "faudra sûrement faire des choses que personne n'a jamais faites auparavant dans ce pays" en l'absence de majorité claire.
Mais, pour le patron du PS Olivier Faure, le prochain gouvernement "ne sera pas en mesure de s'imposer", ce qui contraindra de chercher des majorités "texte par texte".
Retrouvant par la grâce du front républicain son statut de meilleur opposant au "système", le RN a dénoncé par avance des "magouilles" destinées à le priver du pouvoir.
Reste encore l'hypothèse d'un gouvernement technique, comme celui qui avait sauvé l'Italie de la crise de la dette en 2011.
Gabriel Attal s'est en tout cas déclaré disponible pour assurer la continuité de l'Etat "aussi longtemps que nécessaire", c'est-à-dire expédier les affaires courantes en attendant la formation d'un nouveau gouvernement. La question se pose d'autant plus que Paris accueillera les Jeux Olympiques du 26 juillet au 11 août.
"Je pense que nous allons dans une situation (…) qui reste instable, inédite, historique et extraordinairement difficile", a craint M. Teinturier.
La fin de campagne, dans un climat de grande tension, a été marquée par des agressions et violences envers des candidats ou militants.
Face à d'éventuels débordements dimanche soir, 30.000 policiers seront mobilisés, dont 5.000 à Paris.