Que signifie la mort de Raïssi pour l’Iran et la région?

Des personnes assistent au cortège funèbre du président iranien, Ebrahim Raïssi, à Téhéran, le 22 mai 2024. (AFP)
Des personnes assistent au cortège funèbre du président iranien, Ebrahim Raïssi, à Téhéran, le 22 mai 2024. (AFP)
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Publié le Vendredi 24 mai 2024

Que signifie la mort de Raïssi pour l’Iran et la région?

Que signifie la mort de Raïssi pour l’Iran et la région?
  • La mort de Raïssi survient dans le cadre de tensions accrues entre l’Iran et Israël
  • Le mois dernier, une frappe aérienne israélienne a visé le consulat iranien à Damas, en Syrie, entraînant la mort de plusieurs personnalités de haut rang

Le crash d’hélicoptère de dimanche à Varzaqan, en Iran, est un moment historique. Le véhicule transportait plusieurs responsables iraniens de haut niveau parmi lesquelles le président, Ebrahim Raïssi, le ministre des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, le gouverneur de l’Azerbaïdjan oriental, Malek Rahmati, et le représentant du Guide suprême en Azerbaïdjan oriental, Mohammed Ali Ale-Hachem. L’accident a entraîné la mort d’un président iranien en exercice dans un accident d’hélicoptère, un événement sans précédent qui a pris une ampleur considérable dans toute la région et à travers le monde compte tenu de l’influence et du rôle importants des individus impliqués. Il s’est également produit à la lumière de tensions régionales et de dynamiques politiques internes importantes, ce qui a eu des conséquences à la fois immédiates et de grande envergure.

Raïssi a occupé de nombreux postes de premier plan au fil des ans, notamment celui de juge en chef adjoint, de procureur général et de juge en chef. Ses fonctions judiciaires ont été marquées par son passage comme procureur adjoint puis procureur de Téhéran dans les années 1980 et 1990. Connu comme le «boucher de Téhéran», Raïssi était l’un des quatre membres de la «Commission de la mort». À ce titre, il est responsable de l’exécution de milliers de prisonniers politiques en 1988.

Il a également été gardien et président de l’Astan Qods Razavi, un éminent bonyad (fonds caritatif, NDLR), de 2016 à 2019. De plus, il a été membre de l’Assemblée des experts de la province du Khorassan méridional.

Les ambitions politiques de Raïssi étaient évidentes lors de sa campagne présidentielle de 2017, lorsqu’il était candidat du Front populaire conservateur des forces de la révolution islamique, bien qu’il ait perdu face au président sortant, le modéré Hassan Rohani. Sa deuxième candidature présidentielle en 2021 lui a permis de succéder à Rohani.

«Son influence considérable au sein des systèmes politique et judiciaire iraniens l’a positionné comme candidat au poste de Guide suprême.»

- Dr Majid Rafizadeh

Raïssi était largement considéré comme le successeur probable du Guide suprême, Ali Khamenei. Ses liens étroits avec le régime religieux et son influence significative au sein des systèmes politique et judiciaire iraniens l’ont positionné comme un candidat à un rôle politique de premier plan dans le pays. Cette conviction était étayée par son alignement sur les valeurs fondamentales de la République islamique et par les rôles particulièrement importants qu’il a joués au sein de diverses institutions judiciaires et politiques. Tout cela préparait la voie à cette prise de fonction.

La mort de Raïssi survient dans le cadre de tensions accrues entre l’Iran et Israël. Le mois dernier, une frappe aérienne israélienne a visé le consulat iranien à Damas, en Syrie, entraînant la mort de plusieurs personnalités de haut rang, parmi lesquels le général de division Mohammad Reza Zahedi, un haut commandant de la force Al-Qods, et sept autres officiers du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI). L’Iran a riposté par des frappes de missiles et de drones contre Israël, aggravant encore le conflit. Israël a ensuite lancé une série de frappes de missiles sur des sites militaires iraniens. Ces événements constituent une escalade significative dans le conflit de longue date qui oppose les deux nations, avec des implications plus larges pour la stabilité et la sécurité régionales.

Les progrès nucléaires de l’Iran continuent également d’être une source de fortes tensions, tant au niveau régional que mondial. Les développements récents dans ce domaine, associés aux conflits régionaux en cours, ajoutent à la complexité et à la volatilité de la situation. La communauté internationale reste profondément préoccupée par la possibilité que l’Iran développe des armes nucléaires, ce qui pourrait déstabiliser davantage un Moyen-Orient déjà fragile.

Selon la Constitution iranienne, la mort du président signifie que le premier vice-président, Mohammed Mokhber, est en lice pour assumer la présidence. Toutefois, cette transition n’est pas automatique et elle nécessite l’approbation du Guide suprême. L’élévation de Mokhber au poste de président par intérim lundi a assuré la continuité, tout en soulignant également l’influence significative de Khamenei dans la structure politique iranienne, où même les dispositions constitutionnelles sont soumises à son approbation.

Mokhber, 69 ans, était le septième premier vice-président de l’Iran depuis 2021. Il est également membre du Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime. Sa carrière comprend son rôle en tant qu’officier dans le corps médical du CGRI pendant la guerre Iran-Irak.

«Bien que la mort de Raïssi soit un événement important, le cadre plus large du pouvoir en Iran demeure inchangé.»

- Dr Majid Rafizadeh

En cas de décès du président, la Constitution iranienne prévoit qu’un conseil composé du premier vice-président, du président du Parlement et du chef du pouvoir judiciaire organise l’élection d’un nouveau président dans un délai maximal de cinquante jours.

Ali Larijani, ancien officier militaire du CGRI et président du Parlement de 2008 à 2020, est l’un des candidats potentiels à la présidence. L’ancien président Mahmoud Ahmadinejad pourrait également envisager de se représenter. Abdolnaser Hemmati, l’ancien gouverneur de la Banque centrale, pourrait être un autre candidat. Mohsen Rezaï, commandant en chef du CGRI de 1981 à 1997, et Saïd Jalili, ancien secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, pourraient également être candidats. Ces individus sont des partisans de la ligne dure en Iran.

Il est peu probable que la mort de Raïssi modifie fondamentalement la politique intérieure ou étrangère de l’Iran. Cela est dû en grande partie à l’influence durable de Khamenei, qui détient l’autorité suprême dans le pays. De plus, le CGRI exerce un pouvoir politique et économique considérable, garantissant ainsi la cohérence de l’orientation stratégique de l’Iran.

Bien que la mort de Raïssi soit significative, le cadre plus large du pouvoir en Iran reste inchangé, le guide suprême et le CGRI continuant de jouer un rôle central dans l’élaboration des politiques du pays.

La mort de Raïssi pourrait cependant déclencher une concurrence plus intense entre les successeurs potentiels de Khamenei. À mesure que le Guide suprême vieillit – il a 85 ans –, les spéculations sur son successeur se multiplient et la mort de Raïssi pourrait intensifier les luttes pour une position au sein des partisans de la ligne dure en Iran. Cette compétition ne porte pas seulement sur celui qui deviendra le prochain Guide suprême, mais aussi sur celui qui accédera à la présidence. L’interaction entre ces deux rôles est cruciale pour déterminer la future trajectoire politique de l’Iran, en particulier dans l’ère post-Khamenei. Les prochains mois seront probablement marqués par d’importantes manœuvres politiques alors que diverses factions au sein du régime iranien se positionneront pour des rôles de leadership.

Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain diplômé de Harvard.

X: @Dr_Rafizadeh

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com