PARIS: Point final ou nouveau chapitre dans l'affaire Fillon? La Cour de cassation se prononce mercredi sur les pourvois de l'ancien Premier ministre François Fillon, de son épouse et de son ancien suppléant, condamnés pour des emplois fictifs à l'Assemblée nationale.
Les trois prévenus ont formé des recours contre la décision de la cour d'appel de Paris qui, le 9 mai 2022, a infligé à l'ex-locataire de Matignon quatre ans d'emprisonnement dont un an ferme, 375.000 euros d'amende et dix ans d'inéligibilité.
Penelope Fillon a été sanctionnée de deux ans de prison avec sursis ainsi que 375.000 euros d'amende et Marc Joulaud, ancien député suppléant de François Fillon dans la Sarthe, de trois ans de prison avec sursis, avec des inéligibilités respectives de deux et cinq ans.
Les prévenus, qui ont toujours clamé leur innocence, ont en outre été condamnés à verser 800.000 euros de dommages et intérêts à l'Assemblée nationale.
Dans son arrêt attendu vers 14H00, la Cour de cassation pourrait écrire l'épilogue de cette affaire, sept ans après l'explosion en 2017 du "Penelopegate" en pleine campagne présidentielle, dans laquelle M. Fillon était le candidat de la droite et du centre.
La haute juridiction, qui examine le respect des règles de droit et non le fond des dossiers, pourrait rejeter les pourvois, ou prononcer une cassation partielle en réglant elle-même le problème juridique, comme l'a préconisé l'avocat général.
La décision du 9 mai 2022 serait alors définitive et les peines, jusqu'ici suspendues, appliquées.
Nouveau procès
Mais la Cour de cassation pourrait aussi ordonner un nouveau procès.
Lors de l'audience le 28 février, les avocats au conseil des époux Fillon et de Marc Joulaud ont développé une série d'arguments en ce sens, se basant en particulier sur une décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2023 qui a abrogé une partie d'un article de loi.
Me François-Henri Briard a soutenu que pour en tirer les conséquences, une cour d'appel devait réexaminer la demande d'annulation de la procédure jugée "biaisée" par la défense et donc réexaminer entièrement le dossier.
Les principales dates de l'affaire Fillon
Rappel des principales étapes de l'affaire de soupçons d'emplois fictifs dans laquelle l'ex-Premier ministre François Fillon et son épouse Penelope ont été condamnés en appel, avant l'avis de la Cour de cassation attendu mercredi.
Premières révélations
Le Canard enchaîné révèle début 2017 que Penelope Fillon a été rémunérée "500.000 euros brut" entre 1998 et 2007 comme attachée parlementaire de son mari, puis du suppléant de ce dernier, Marc Joulaud. Le journal met en doute la réalité du travail fourni par l'épouse du candidat de la droite à l'élection présidentielle.
Mme Fillon aurait aussi reçu de l'argent de la Revue des deux mondes, dirigée par un ami de son époux, Marc Ladreit de Lacharrière.
Le parquet national financier (PNF) ouvre une enquête préliminaire.
M. Fillon assure que l'emploi de sa femme comme collaboratrice était "légal" et dit qu'il ne se retirera de la course à la présidentielle qu'en cas de mise en examen. Il reviendra sur cet engagement.
Mises en examen
France 2 révèle qu'en 2007, Mme Fillon a déclaré au Daily Telegraph n'avoir "jamais été l'assistante" de son mari.
M. Fillon est mis en examen le 14 mars 2017 pour "détournement de fonds publics", "recel et complicité d'abus de biens sociaux" ainsi que "manquement aux obligations déclaratives à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique".
Une enquête élargie à des soupçons de trafic d'influence, liée à 13.000 euros de costumes offerts à M. Fillon, débouchera sur un non-lieu.
Mme Fillon est mise en examen le 28 mars.
Echec au 1er tour, renvoi en correctionnelle
En avril, François Fillon est éliminé au premier tour.
Fin 2018, Marc Ladreit de Lacharrière, est condamné à huit mois de prison avec sursis et 375.000 euros d'amende pour avoir accordé un emploi en partie fictif à Penelope Fillon.
En 2019, le couple Fillon et M. Joulaud sont renvoyés en correctionnelle. M. Fillon doit notamment répondre de "détournement de fonds publics", son épouse de "complicité et recel" de ce délit. Le procès se tient du 24 février au 11 mars 2020.
Condamnations en première instance
Le 29 juin 2020, François Fillon est condamné à cinq ans de prison dont deux ferme, une amende de 375.000 euros et dix ans d'inéligibilité. Son épouse à trois ans de prison avec sursis, la même amende, et deux ans d'inéligibilité.
Le couple et Marc Joulaud (trois ans avec sursis) doivent rembourser plus d'un million d'euros à l'Assemblée nationale.
Ils font appel.
Le 16 septembre, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), saisi par le président Emmanuel Macron à la suite d'accusations du clan Fillon, estime qu'aucune "pression" du pouvoir exécutif n'a été exercée sur le PNF.
Condamnations allégées en appel
Le 10 mai 2022, Francois Fillon est condamné en appel à quatre ans de prison dont un an ferme, 375.000 euros d'amende et dix ans d'inéligibilité. Son épouse à deux ans de prison avec sursis, la même amende et deux ans d'inéligibilité. Marc Joulaud à trois ans de prison avec sursis et cinq ans d'inéligibilité.
Les trois doivent verser environ 800.000 euros à l'Assemblée.
Ils se pourvoient en cassation.
Une QPC relance le dossier
La Cour de cassation transmet en juin 2023 au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par M. Fillon, qui conteste la conformité d'un article du code de procédure pénale. Le 28 septembre, le Conseil conclut que cet article est effectivement contraire à la Constitution.
La Cour de cassation doit annoncer mercredi si elle appelle dès lors ou pas à casser l'arrêt rendu par la cour d'appel et à ordonner un nouveau procès.
L'avocat général a au contraire estimé que la cour d'appel avait déjà suffisamment motivé son rejet de cette demande d'annulation et même anticipé la décision du Conseil constitutionnel.
Me Patrice Spinosi a porté d'autres critiques, concernant notamment les dommages-intérêts, la motivation de la peine de prison ferme infligée à François Fillon et son aménagement.
Sur ce dernier point, l'avocat général a convenu que la formulation de la cour d'appel était "très confuse" et a proposé à la Cour de cassation de réécrire le passage incriminé. Mais sans ordonner de nouveau procès.