CALAIS: Yasser, 20 ans, Abubaker, 26 ans, Rola, 7 ans: derrière ces noms sur les tombes, le souvenir d'un visage juvénile et d'une mort violente. A Calais, Mariam Guerey, tente de rendre sa part d'humanité à chaque migrant décédé dans sa quête d'Angleterre, mais la liste ne cesse de s'allonger.
Cette salariée du Secours catholique fait partie du "groupe décès", assemblage inter-associatif constitué en 2017 pour faire respecter au mieux les souhaits des exilés décédés, servir d'interface avec leurs familles mais aussi tenter de redonner une identité à certains pour éviter les enterrements sous X.
Une initiative prise face à "l'absence de mobilisation" des autorités, selon les associations.
Yasser, tué par un camion en 2021. "On a sa photo à l'accueil de jour (du Secours catholique). Il était jeune!". Abubaker, écrasé par un train en 2022. "Il n'arrêtait pas de faire des photos. Il avait un frère en Angleterre qui n'a pas pu venir (à son enterrement) parce qu'il n'avait pas encore de papiers, mais qui est venu l'année dernière".
Behzad, dont le corps a été rejeté par la mer en 2020. "Il était parti seul, sans rien, à la rame". Mariam Guerey avait réussi à découvrir son identité en faisant le tour des campements, grâce à la pochette plastique qu'il portait.
"Il était chiite. La famille nous a dit de mettre un tissu noir sur la tombe, de poser un gâteau spécial dessus", se souvient-elle.
Les associations dénombrent 404 exilés morts dans cette zone frontalière depuis 1999, sans compter les disparus.
Au cimetière Nord de Calais, la plupart des tombes de migrants sont de simples monticules de terre arborant des panneaux en bois portant un nom, une année de décès et parfois une année de naissance sur une plaque métallique.
Avec les années, certaines s'aplanissent au point de presque se fondre dans le sol, et les noms s'effacent.
En 2022, le Secours catholique avait lancé un appel aux dons pour consolider les sépultures, mais seules quelques tombes ont pu bénéficier d'une bordure en ciment.
Les cimetières constituent "le seul lieu de mémoire de la présence des personnes exilées" à Calais, déplore Thibault, autre membre du groupe décès.
Entourée de cailloux blancs et fleurie, la tombe de Salim sort du lot. Son ami Amjad, ancien migrant désormais installé à Calais, l'entretient. "C'est important, et pas beaucoup de monde ici travaille sur ça", explique ce Libyen de 36 ans.
Amjad va aussi aux enterrements quand son travail de soudeur le lui permet et commémore la mort de son ami par un repas annuel.
Deux prières
Les exilés, dont beaucoup sont Soudanais ou originaires du Moyen-Orient, occupent une large partie du carré musulman du cimetière Nord, qui est presque plein.
"La création d'un autre espace confessionnel au sein des cimetières de Calais est à l'étude", indique la mairie.
Dans un autre carré musulman, dans un cimetière de Grande-Synthe, près de Dunkerque, un petit signe en peluche a été déposé sur une tombe couverte de tulipes: celle de Rola, une fillette irakienne de 7 ans, morte dans un naufrage le 3 mars.
A Calais, les exilés d'une autre confession ou bien non identifiés sont inhumés dans "le carré des indigents", où les sépultures sont conservées "cinq ans minimum", explique la mairie.
Quand la religion du défunt est inconnue, "on fait deux prières devant la tombe, une musulmane et une chrétienne", rapporte Mariam Guerey.
Certaines familles parviennent à financer le coûteux rapatriement de la dépouille, comme celle d'un Éthiopien mort en novembre dernier, mais beaucoup d'autres ne verront jamais la sépulture de leur enfant.
Rapatrier un corps en Syrie coûte ainsi 6.000 à 8.000 euros, explique Mariam Guerey.
Quand la famille se résout à un enterrement en France, le groupe décès aide à financer les obsèques, avec la communauté concernée.
Alors qu'un enterrement musulman intervient généralement très vite après le décès, les délais nécessaires pour identifier officiellement certains corps sont douloureux pour les familles.
L'identification qui auparavant "se fondait sur des témoignages, avec la concordance des papiers" exige "de plus en plus (...) des preuves primaires, comme des tests ADN", allongeant les délais, regrette Thibault.
Sur les cinq morts d'un naufrage mi-janvier, trois n'avaient pas encore été inhumés fin mars.