LONDRES: L'Iran a attisé les tensions dans le Golfe cette semaine lorsque ses troupes ont pris d'assaut un pétrolier battant pavillon sud-coréen alors qu'il transitait par le détroit stratégique d'Ormuz, un goulot d'étranglement par lequel passe le cinquième de la production mondiale de pétrole. Cet incident est le dernier d'une longue série de «pirateries d'État» dans la région instable.
Le MT Hankuk Chemi était en route du Jubail d'Arabie saoudite vers le Fujairah des Émirats arabes unis. Lundi, des membres de la marine du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) ont embarqué sur le navire et l'ont amené au port de Bandar Abbas, dans le sud de l'Iran, plaçant son équipage de 20 matelots, de nationalités diverses, en état d'arrestation.
Les autorités iraniennes ont prétendu que le pétrolier, qui transporte 7 200 tonnes d’éthanol, a été saisi pour infraction aux lois sur l’environnement maritime, selon le propriétaire du navire qui nie toutes ces allégations.
Les observateurs soupçonnent que le navire a été pris en otage dans le cadre d'une dispute avec Séoul au sujet de 7 milliards de dollars de revenus en recettes de pétrole, gelées dans les banques sud-coréennes en vertu des sanctions américaines imposées à l'Iran par l'administration Trump.
Bien que le MT Hankuk Chemi soit le premier grand navire saisi par l'Iran depuis plus d'un an, des incidents de ce genre sont devenus trop courants dans le détroit d'Ormuz ainsi que sur les voies maritimes à proximité.
Plusieurs navires ont été arraisonnés ou mystérieusement attaqués depuis que le président Donald Trump a intensifié sa campagne de «pression maximale», l'Iran étant désigné comme le coupable probable.
La marine du CGRI a longtemps utilisé sa flotte de hors-bords pour harceler les navires commerciaux et militaires de la région, saisissant au moins six navires en 2019, soi-disant pour contrebande de carburant. L'Iran a également menacé à plusieurs reprises de bloquer le détroit si elle est attaquée.
Plusieurs incidents ont pavé la voie aux tensions actuelles. En janvier 2016, le CGRI a saisi deux bateaux de commandement de la marine américaine après leur entrée dans les eaux territoriales iraniennes près de l'île iranienne de Farsi.
Après une vague d'appels téléphoniques entre le secrétaire d'État américain de l'époque, John Kerry, et le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, les marins ont été libérés sains et saufs quinze heures plus tard.
En mars 2007, le CGRI a arrêté 15 membres de la marine britannique du HMS Cornwall qui fouillaient un navire marchand au large de la côte irano-irakienne. Ils ont été libérés 13 jours plus tard.
Un incident similaire s'est produit en 2004 lorsque six Royal Marines et deux marins de la Royal Navy ont été capturés par le CGRI à l’intérieur du canal de Chatt al-Arab. Ils ont été libérés trois jours plus tard.
La milice houthie au Yémen, soutenue par l'Iran, a lancé des attaques répétées contre des ports et des navires ces dernières années, plaçant régulièrement des mines marines dans le sud de la mer Rouge et dans le détroit de Bab Al-Mandab sur la voie de navigation commerciale.
La milice a rejeté à plusieurs reprises les demandes de l'ONU d’autoriser une équipe d'inspection à avoir accès au FSO Safer, un pétrolier de 45 ans abandonné au large du port de Hodeidah, pour effectuer des réparations urgentes. Le 15 juillet 2020, lors d'une session extraordinaire, l'ONU a fait part de ses craintes d’une «catastrophe» si le navire, qui contient 1,1 million de barils de pétrole brut à bord, se désintègre dans la mer Rouge.
En mai 2019, Washington a déployé le porte-avions USS Abraham Lincoln et quatre bombardiers B-52 au Moyen-Orient, invoquant des menaces iraniennes non spécifiées. Quelques jours plus tard, le 12 mai, quatre navires commerciaux, dont deux pétroliers saoudiens d’Aramco, sont endommagés près du port de Fujairah dans le golfe d'Oman. Un «acte de sabotage», d’après les Émirats arabes unis.
Le 13 juin, les pétroliers Front Altair et Kokuka Courageous sont secoués par des explosions, que l’on estime causées par des mines ventouses ou des projectiles. Quelques jours plus tard, le 20 juin, l'Iran abat un drone de surveillance américain RQ-4A survolant le détroit d'Ormuz, ce qui ajoute aux tensions.
À l'époque, le président américain Donald Trump avait déclaré que les bateaux iraniens qui attaquent la marine américaine se verraient «mitraillés jusqu’à ce qu’ils quittent les eaux».
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QUELQUES CHIFFRES
Piraterie iranienne
* 20 marins civils à bord du Hankuk Chemi battant pavillon sud-coréen arrêtés par le CGRI.
* 7 milliards de dollars - Montant réclamé par l'Iran et gelé dans une banque sud-coréenne.
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Le mois suivant, le CGRI a retenu pendant deux mois le pétrolier battant pavillon britannique Stena Impero pour avoir supposément percuté un bateau de pêche. Cette décision est largement considérée comme un acte de représailles, après que les Royal Marines britanniques aient arrêté un pétrolier iranien, le Grace 1, dans le détroit de Gibraltar, soupçonné d'avoir violé les sanctions de l'UE contre la Syrie.
À la suite de l'incident, le Commandement central américain a lancé l'opération Sentinelle, invitant les pays à coordonner la surveillance maritime et à fournir des escortes à leurs navires commerciaux battant pavillon dans le golfe, le détroit d'Ormuz, le détroit de Bab el-Mandeb ainsi que le golfe d'Oman.
Mais les puissances européennes ont fait part de leur préoccupation quant à la possibilité d'être entraînés dans une guerre avec l'Iran. Les États-Unis ont alors rebaptisé l'opération «Restauration de la sécurité maritime internationale» en septembre 2019, basée à Bahreïn.
Les yeux du monde sont une fois de plus tournés vers l’Iran qui utilise la saisie du Hankuk Chemi pour obtenir des concessions de la Corée du Sud. Séoul a confirmé qu'elle était en pourparlers avec Téhéran et Washington dans le but d’utiliser l'argent iranien gelé pour acheter des vaccins contre le coronavirus pour le pays.
Parallèlement, le ministère des Affaires étrangères de la Corée du Sud a annoncé une action en justice pour exiger la libération du navire. Le ministère de la Défense a de plus déployé son unité antipiraterie Cheonghae, forte de 300 hommes, dans le détroit d'Ormuz, à bord du destroyer Choi Young, dans l’intention d’«assurer la sécurité» des ressortissants sud-coréens.
Shin Beom-chul, chercheur en chef à l'Institut de recherche coréen pour l'économie et la société, a déclaré à Arab News que la décision iranienne est une tentative désespérée d'obtenir la reconnaissance de la nouvelle administration Biden aux États-Unis, qui doivent adopter une position relativement plus indulgente vis -a-vis-à-vis de l'Iran.
«Téhéran envoie un message clair selon lequel elle peut à tout moment intensifier l'agression dans la région, surtout que les sanctions financières de l'administration Trump ne se résument pas à l'argent gelé en Corée du Sud», a affirmé Shin.
L'Iran subit les conséquences des sanctions réintroduites après le retrait de l'administration Trump du Plan d'action global conjoint, mieux connu sous le nom de l’accord nucléaire iranien, en mai 2018. Les problèmes économiques de l'Iran sont aussi aggravés par la pandémie du coronavirus, et qui a frappé de plein fouet la région.
Les puissances européennes, quant à elles, s'efforcent de sauver l’entente, tout comme l'Iran qui a annoncé lundi avoir augmenté son enrichissement d'uranium à 20% de pureté, bien au-delà des limites fixées dans les clauses.
Les violations consécutives de l'accord nucléaire par Téhéran sont largement interprétées comme un moyen de faire pression sur les signataires européens pour qu'ils allègent les sanctions, une mesure que Washington qualifie de «chantage nucléaire».
Téhéran est, après tout, encore sous le choc de l’élimination de Qassem Soleimani, le commandant de la Force al-Qods du CGRI. Il a été tué par une frappe de drone américain près de l’aéroport de Bagdad il y a un an.
Aux prises avec les sanctions et la Covid-19, blessé par des revers stratégiques, l'Iran a semblé freiner ses activités navales illégales en 2020, mais le CGRI veut de nouveau s'imposer dans les derniers jours de l'administration Trump.
Avec si peu de signes encourageants dans le Golfe, le Hankuk Chemi ne sera peut-être pas le dernier navire commercial ciblé par l'Iran en 2021.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com