PARIS: Il y a 63 ans, le 17 octobre 1961, 30.000 Algériens venus manifester pacifiquement à Paris subissent une violente répression. Bilan officiel: trois morts et une soixantaine de blessés, mais les historiens en dénombreront "au moins plusieurs dizaines" du fait de la police.
Une proposition de résolution soutenue par le parti du président français, demandant au gouvernement d'instaurer une journée de commémoration de ce massacre doit être examinée mercredi soir ou jeudi au Parlement.
Nous sommes six mois avant que les accords d'Evian ne scellent l'indépendance de l'Algérie, encore française. Les "Français musulmans d'Algérie", tels qu'on les appelle alors, affluent ce jour-là depuis les bidonvilles de banlieue et quartiers populaires parisiens où ils vivent.
A l'appel de la branche du parti politique algérien Front de libération nationale (FLN) installée en France, ils ont bravé l'interdiction décrétée par le préfet de police, Maurice Papon (qui sera condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l'humanité pour son rôle dans la déportation de Juifs entre 1942 et 1944).
Ces manifestants vont subir la répression la plus meurtrière en Europe de l'Ouest depuis 1945, selon l'historien Emmanuel Blanchard.
Quelque 12.000 manifestants sont raflés ce jour-là par la police. Des cadavres criblés de balles ou marqués par des coups seront repêchés dans la Seine les jours suivants.
En 1988, un conseiller au cabinet du Premier ministre pendant la guerre d'Algérie, estimera que les "exactions" de la police ont fait une centaine de morts, tandis qu'un rapport au gouvernement en 1998 en comptabilisera 48.
Dans des archives déclassifiées, publiées en 2022 par le site français Mediapart, une note d'un haut-fonctionnaire conseiller de Charles de Gaulle datée du 28 octobre 1961 informe le chef de l'Etat qu'"il y aurait 54 morts".
Difficiles à établir précisément, les bilans avancés au fil des ans par les historiens vont d'une trentaine à plus de 200 morts. Ils s'accordent sur "au moins plusieurs dizaines de morts" du fait de la police le 17 octobre, selon M. Blanchard.
Une gigantesque rafle planifiée
En 1961, la Guerre d'Algérie dure depuis sept ans et les "Français musulmans d'Algérie", qui vivent depuis des mois les rafles et contrôles de la police ou les "ratonnades" meurtrières d'escadrons clandestins favorables à l'Algérie française, sont soumis depuis le 5 octobre à un couvre-feu à Paris.
Le 17 octobre, les manifestants veulent protester massivement contre ce couvre-feu et témoigner en nombre leur solidarité aux Algériens qui se battent au pays pour l'indépendance.
Depuis le début de l'année, des policiers - "au moins cinq" en septembre et début octobre, selon M. Blanchard - ont eux trouvé la mort dans des attentats isolés attribués au FLN en région parisienne.
Pour le Premier ministre Michel Debré, le couvre-feu vient opportunément empêcher le FLN de collecter le soir les fonds destinés à son combat.
Dès le matin du 17, la préfecture de police a réquisitionné un vaste parc des expositions au nord de Paris, ce qui montre qu'elle "préparait une rafle gigantesque", selon M. Blanchard.
En quelques heures, des milliers d'Algériens sont brutalement entassés dans des cars de police ou des bus et rassemblés dans plusieurs lieux de Paris ou de la proche banlieue, où leur identité sera vérifiée.
Jacques Simonnet, alors étudiant, a raconté en 1999 devant la justice ce qu'il avait vu: "Les Algériens étaient sortis à coups de poing des cars, ils se ramassaient par terre et là, passaient entre une haie de policiers qui les recevaient à coups de pieds, de poings, de bâtons, de bottes".
La majorité des blessés ne sont pas dirigés vers des hôpitaux. Une fois identifiés, certains sont expulsés vers l'Algérie, d'autres internés dans des camps, les derniers renvoyés chez eux.
« Répression coloniale »
Dès les premiers manifestants engagés sur le pont de Neuilly, à l'ouest de Paris, des coups de feu mortels sont tirés par les forces de l'ordre sur une foule calme parfois venue en famille, rappelle M. Blanchard.
La violence des policiers se déchaîne à l'écoute de messages radio mensongers de la police annonçant à tort la mort par balles de collègues.
Tirs et charges ont lieu aussi dans plusieurs lieux de la capitale.
"De nombreuses victimes sont mortes sous les coups de bidules (matraques, NDLR) portés par les agents, des dizaines d'autres furent jetés dans la Seine, plusieurs périrent par étouffement après avoir été jetés à terre et recouverts par des amas de corps", détaille le Musée de l'Histoire de l'immigration sur son site internet.
La violence de la répression "est à mettre en regard avec les techniques de répression coloniale qui ont cours dans l'Empire", explique le site.
Il faudra attendre 2012 pour qu'un premier président, le socialiste François Hollande, rende "hommage aux victimes" d'une "sanglante répression" qui s'abattit sur ces hommes manifestant pour "le droit à l'indépendance".
En 2021, Emmanuel Macron évoque lui des "crimes inexcusables" commis "sous l'autorité de Maurice Papon".