Le Canada semble recalibrer sa politique à l’égard de la guerre à Gaza. Initialement, il s’est rangé sans réserve du côté d’Israël, mais il reconsidère désormais sa position à la lumière des conditions catastrophiques à Gaza, une ville devenue depuis un camp de concentration virtuel, une zone de mort où chacun est livré à lui-même. Les Palestiniens qui ne sont pas tués par des frappes aériennes, des balles de tireurs isolés ou des obus de chars et d’artillerie meurent en grand nombre parce qu’Israël bloque l’aide humanitaire ou détruit systématiquement les installations médicales. Les dirigeants actuels d’Israël semblent avoir totalement renoncé à leurs responsabilités en vertu du droit international humanitaire dans un cycle incessant de massacres et de destructions sans précédent en Palestine depuis l’époque des croisades.
Pour tenir le Canada à distance de telles actions, le Premier ministre, Justin Trudeau, est devenu de plus en plus critique à l’égard de la guerre menée par Israël contre Gaza. Et voilà que son gouvernement a pris deux décisions concrètes qui témoignent de son mécontentement. Les changements sont plus que symboliques, même si les organisations humanitaires canadiennes exigent que le gouvernement fournisse des efforts supplémentaires.
Mardi, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a annoncé que son gouvernement mettrait fin aux futures livraisons d’armes à Israël. Un autre revirement tout aussi important a été l’annonce faite le 8 mars selon laquelle Ottawa reprendrait son financement à l’Office de secours et de travaux des nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa), la principale organisation humanitaire qui opère à Gaza, après une interruption de plusieurs semaines à la suite des accusations d'Israël contre certains membres du personnel de l’Unrwa qui auraient des liens avec le Hamas.
La décision d’interdire les futures ventes d’armes à Israël fait suite à un vote non contraignant à la Chambre des communes du Canada lundi. La motion a été proposée par le Nouveau Parti démocratique, qui soutient le gouvernement minoritaire de Trudeau. Les néodémocrates ont reproché à plusieurs reprises le gouvernement de ne pas déployer suffisamment d’efforts pour protéger les civils à Gaza. La motion a été adoptée par 204 voix contre 117, avec le soutien du Parti libéral, au pouvoir, du Bloc québécois et du Parti vert.
Le vote de lundi a également appelé le Canada à travailler «à la création de l’État de Palestine». Les néodémocrates avaient initialement demandé au gouvernement de «reconnaître directement l’État de Palestine», mais cette proposition a été édulcorée à la demande du gouvernement, qui croit que la création d’un État palestinien devrait résulter d’un accord négocié avec Israël, une position qu’il partage avec les États-Unis.
Le Canada avait précédemment déclaré qu’il évaluait toujours les demandes «au cas par cas», même s’il a suspendu la délivrance de permis d’exportation militaire vers Israël, mais le vote de lundi vise à mettre fin à la livraison des expéditions précédemment autorisées. «C’est bel et bien réel», déclare la ministre des Affaires étrangères à la presse.
Les Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient (CJPMO) ont qualifié le vote d’«édulcoré», affirmant cependant qu’il représentait un «petit pas en avant pour mettre fin à la complicité du Canada dans la guerre génocidaire d’Israël à Gaza».
De nombreuses personnes au Canada se sont opposées à la poursuite de l’armement d’Israël par leur pays en raison des atrocités commises par ses forces à Gaza. Le 4 février, plus de 50 organisations de soutien à la paix et d’aide humanitaire ont envoyé une lettre à Mme Joly, exprimant leurs «profondes inquiétudes quant aux implications juridiques et humanitaires du transfert de systèmes d’armes par le Canada au gouvernement israélien».
Elles poursuivent en ces termes: «Au cours de la dernière décennie, le Canada a exporté plus de 140 millions de dollars canadiens [soit 95 millions d’euros] de biens militaires vers Israël qui comprennent des composants aérospatiaux militaires ainsi que des bombes, des missiles, des explosifs et des pièces associées. Certaines de ces armes permettraient à Israël de mener ses opérations à Gaza.»
En plus des exportations directes, la lettre indiquait que la technologie produite au Canada avait également été fournie à Israël après avoir été intégrée dans des systèmes produits aux États-Unis, y compris des composants incorporés dans l’avion d’attaque interarmées F-35, qu’Israël a utilisé dans sa campagne de bombardement à travers Gaza. La lettre cite des experts qui décrivent cette campagne comme «la plus meurtrière et la plus destructrice de l’histoire récente».
Compte tenu de la conduite d’Israël à Gaza, il existe «un risque clair et considérable» que les armes canadiennes soient utilisées pour commettre de graves violations du droit international humanitaire ou du droit international des droits de l’homme, selon les signataires. Le courrier mentionne les obligations du Canada en vertu de la loi sur les licences d’exportation et d’importation et du traité sur le commerce des armes, insistant sur le fait qu’il est «tenu d’arrêter les transferts d’armes et de refuser de nouvelles licences d’exportation et de courtage en matière d’armement vers Israël».
La lettre citait également la décision provisoire du 26 janvier de la Cour internationale de justice (CIJ), qui a estimé qu’au moins une partie des allégations de l’Afrique du Sud au sujet des violations des droits des Palestiniens en vertu de la Convention sur le génocide étaient «plausibles». Toutes les parties à la Convention sur le génocide, y compris le Canada, ont le devoir d’assurer la prévention contre les actes génocidaires et leur non-complicité dans ces derniers. Les pays qui transfèrent vers un autre pays des armes susceptibles d’être utilisées pour commettre des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou un génocide risquent d’être complices de ces crimes, indique la lettre.
«Pour tenir le Canada à distance des actions israéliennes, Trudeau est devenu de plus en plus critique à l’égard de la guerre menée par Israël contre Gaza.»
- Dr Abdel Aziz Aluwaisheg
Par ailleurs, la lettre salue le soutien ferme du Canada au «rôle critique» de la CIJ et son engagement à respecter ses décisions dans le procès pour génocide intenté par l’Afrique du Sud contre Israël. Cependant, le pays ne peut continuer à «armer ceux que la CIJ accuse plausiblement de génocide».
Il en va de même pour la décision du Canada de reprendre le financement de l’Unrwa. Initialement, en janvier, il s’était rallié à un certain nombre d’autres pays en arrêtant de financer l’organisation sur la base d’affirmations non étayées d’Israël, qui tente depuis longtemps de perturber le travail de l’agence, voire d’y mettre complètement fin.
Les ravages à Gaza semblent être délibérés et à caractère politique; ils répondent à l’objectif d’Israël de rendre le territoire inhabitable. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a déclaré lundi qu’«1,1 million de personnes à Gaza sont confrontées à une famine catastrophique – le plus grand nombre de personnes jamais enregistré – partout et à tout moment». Ce qui rend la situation pire, a-t-il ajouté, c’est qu’il s’agit d’un «désastre entièrement provoqué par l’homme». Alors, face à ces souffrances indescriptibles, et cédant aux critiques à l’égard de sa décision initiale précipitée, le gouvernement canadien a décidé, au cours de ce mois, de reprendre le financement.
Ces deux décisions sont des indicateurs significatifs de la volonté du Canada de jouer un rôle plus constructif dans ce conflit, ce que Mme Joly a souligné lors de sa visite en Arabie saoudite et dans plusieurs autres pays de la région au cours de ce mois. Elles pourraient également restaurer le leadership moral du Canada dans le monde en matière de respect des normes et valeurs internationales.
Le Dr Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe (CCG) pour les affaires politiques et la négociation
X: @abuhamad1
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com