HONG KONG: Le projet de nouvelle loi sur la sécurité nationale porté par les autorités hongkongaises suscite craintes et questionnements au sein des milieux d'affaires du territoire en raison du flou juridique entourant sa mise en œuvre.
Le texte, présenté vendredi au Conseil législatif de la ville, prévoit des infractions telles que la trahison et l'insurrection, passibles de la prison à vie.
Le gouvernement a annoncé son intention d'adopter le projet de loi dès que possible afin de combler les lacunes législatives laissées par la loi sur la sécurité nationale imposée à Hong Kong par Pékin en 2020, après les manifestations pro-démocratie massives de l'année précédente dans le territoire.
Les autorités affirment qu'il est de leur responsabilité constitutionnelle d'adopter une législation nationale en matière de sécurité conformément à la loi fondamentale de Hong Kong, une mini-constitution qui régit la ville depuis qu'elle a été rétrocédée à la Chine par le Royaume-Uni en 1997.
Mais le territoire entre dans des "eaux inconnues, non explorées" avec la loi proposée, relève auprès de l'AFP Kristian Odebjer, président de la Chambre de commerce suédoise à Hong Kong.
Les infractions comprennent la trahison, l'insurrection, l'espionnage et le vol de secrets d'Etat, l'atteinte à la sécurité nationale et l'ingérence extérieure.
Les définitions sont "vagues", observe M. Odebjer, notamment en ce qui concerne le vol de secrets d'Etat, qui comprend les renseignements de défense mais aussi les informations sur les développements économiques, sociaux et technologiques de la ville.
"Cela pourrait avoir un impact négatif sur les activités dans lesquelles certains de nos membres s'engagent, comme la recherche et les activités de due diligence (consultation des comptes, NDLR)", selon M. Odebjer.
Ces activités "contribuent, voire sont nécessaires, au bon fonctionnement d'un centre financier et d'une économie de marché comme Hong Kong", a-t-il souligné.
Selon le dirigeant de la ville, John Lee, un ancien policier sanctionné par les Etats-Unis, le nouveau texte, connu sous le nom d'article 23 de la loi fondamentale, agira comme "une serrure efficace pour empêcher les cambrioleurs".
Il complétera la loi sur la sécurité nationale imposée par Pékin, qui couvre quatre crimes majeurs : la sécession, la subversion, le terrorisme et la collusion avec des forces étrangères.
«Ligne rouge»
Pour un économiste travaillant pour une banque internationale, le principal problème "est que, de plus en plus souvent, on ne sait pas vraiment où se trouve la ligne rouge".
Les banques, les entreprises et les investisseurs s'appuient régulièrement sur des recherches, des données économiques et des rapports de "due diligence" qui pourraient être considérés comme des "secrets d'Etat".
Le barreau de Hong Kong a recommandé au gouvernement de veiller à ce que "les secrets commerciaux légitimes... ne tombent pas par inadvertance dans le champ d'application" de l'infraction relative aux secrets d'Etat.
Il a également fourni un exemple fictif d'une entreprise effectuant des recherches sur les "carburants d'appoint" pour véhicules, et découvrant par la suite qu'ils peuvent être utilisés pour les fusées et missiles.
L'entreprise "doit-elle continuer à détenir ces secrets, sachant que la possession illégale de secrets d'Etat est un délit?", s'est interrogé le barreau.
Le «pire» des mondes
En 2003, une précédente tentative d'introduire une loi sur la sécurité nationale avait suscité un rejet massif.
Des centaines de milliers de Hongkongais avaient protesté contre ce qu'ils considéraient comme une érosion des libertés que Pékin avait promis de maintenir à Hong Kong pendant 50 ans après la rétrocession, en vertu de la doctrine "un pays, deux systèmes".
Aujourd'hui, quatre ans après la promulgation de la loi imposée par Pékin, une grande partie de l'opposition et des militants pro-démocratie ont été arrêtés, réduits au silence ou ont fui à l'étranger.
"En résumé, ils ont pris le pire du droit pénal de la Chine continentale, le pire des lois antiterroristes des pays anglophones de l'après-11 septembre et le pire du droit colonial", souligne auprès de l'AFP un diplomate qui a requis l'anonymat en raison du caractère sensible de la question.
Selon lui, la décision des entreprises internationales de s'installer à Hong Kong était due à la doctrine "un pays, deux systèmes", qui permet à la ville d'être régie par un système juridique calqué sur la "common law" britannique plutôt que par le système juridique opaque de la Chine continentale.
"Aujourd'hui, il semble que la frontière entre les deux systèmes devienne de plus en plus ténue", observe le diplomate.