BEYROUTH: Tala Assaad a profité de l'arrêt des pluies diluviennes pour aller skier sur les hauteurs surplombant Beyrouth, loin des violences entre Israël et le Hezbollah qui font trembler le sud du Liban, depuis le début de la guerre à Gaza.
"Le ski est une échappatoire, il nous permet de nous déconnecter de la situation que nous vivons", déclare l'adolescente de 17 ans à Mzaar, station chic située à une heure de la capitale libanaise mais à des années-lumière de la guerre.
La brunette est venue de la localité de Chhim, limitrophe du sud, où elle a clairement ressenti les derniers raids israéliens, qui ont visé la semaine dernière la région de Saïda, la plus grande ville du sud du pays.
Les frappes israéliennes, qui visaient au début des violences les régions frontalières, touchent désormais des zones plus en profondeur dans le territoire libanais.
Dans la région chrétienne du Kesrouan, nombreux sont les Libanais comme Tala Assaad venus oublier, le temps d'une journée, cette guerre et l'angoisse de la voir s'étendre à tout le petit pays.
Les échanges de tirs entre Israël et le puissant Hezbollah pro-iranien ont commencé après le début de la guerre à Gaza le 7 octobre, déclenchée par Israël après l'attaque sans précédent du mouvement islamiste palestinien Hamas dans le sud d'Israël, qui a fait au moins 1.160 morts, en majorité des civils, selon un décompte de l'AFP réalisé à partir de données officielles israéliennes.
L'offensive israélienne a fait jusqu'ici 29.878 morts dans la bande de Gaza, en grande majorité des civils, selon le ministère de la Santé du Hamas.
Allié du Hamas, le Hezbollah cible quotidiennement des positions miliaires israéliennes, et Israël menace de frapper durement le Liban.
«La vie doit continuer»
Derrière Tala Assaad, de longues files d'attente se forment devant les télésièges.
"La peur était intense au début (du conflit avec Israël, ndlr), mais que voulez-vous qu'on fasse? Si on y pense constamment, on ne vit plus", déclare Edwin Jarkedian, 21 ans.
Depuis octobre, au moins 280 personnes, en majorité des combattants du Hezbollah et d'autres formations qui lui sont alliées mais également 44 civils, ont été tuées dans le sud du Liban, selon un décompte de l'AFP.
Les violences ont également fait plus de 89.000 déplacés dans le sud, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Côté israélien, dix soldats et six civils ont été tués, selon l'armée et des dizaines de milliers de personnes ont également été déplacées dans le nord du pays.
Pourtant, "le ski a le vent en poupe cette année", déclare à l'AFP Nicole Wakim, responsable développement et marketing de la station Mzaar ski resort, à Kfardebian, fraîchement désignée capitale des stations d'hiver par l'Organisation arabe du Tourisme.
Selon elle, même s'il est vrai que le nombre de touristes a baissé, la saison 2024 est meilleure que l'année passée.
"Les Libanais ont besoin de s'évader à la montagne pour oublier ce qui se passe dans le sud car on ne sait pas comment la situation va évoluer", explique-t-elle.
Déconnectée de la réalité
Même son de cloche pour Marcel Semaan, 41 ans, et père de trois enfants, qui dit "ne pas ressentir la guerre" sur les pistes.
"Bien sûr qu’on est solidaires mais la vie doit continuer", affirme-t-il. "On a nous-mêmes vécu la guerre, on ne veut pas que nos enfants la vivent", ajoute cet homme dont la génération a connu la guerre civile (1975-1990) et plusieurs guerres avec Israël.
Pour une journée de ski en famille, il dit avoir dépensé plus de 150 dollars. Un luxe dans un pays où le salaire minimum vaut à peine 100 dollars depuis l'effondrement de l'économie fin 2019, qui a plongé la majorité de la population dans la pauvreté, selon l'ONU.
Si avant le 7 octobre, la Banque mondiale émettait des prévisions positives dues notamment à la bonne saison touristique estivale, son dernier rapport indiquait que l'économie libanaise devrait replonger à cause de la guerre.
Sara Jomaa, venue avec ses trois enfants profiter de la neige, déplore cependant que cette partie du pays soit tellement déconnectée de la réalité.
"Quand vous venez ici, vous ne ressentez ni crise économique ni politique", dit-elle: "C'est comme si le sud ne faisait pas partie du pays".