Le 19 février, l’UE devrait déployer une nouvelle mission de sécurité maritime en mer Rouge. Le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a annoncé vendredi dernier que cette nouvelle présence navale visait à protéger les navires commerciaux des attaques de la milice houthie.
La mission va entrer dans un espace encombré de plusieurs entités de ce type dans la région. Si ces initiatives bien intentionnées prolifèrent, certaines ont des capacités et des mandats limités. Elles doivent être complétées par des mesures politiques et diplomatiques pour être efficaces et durables. En outre, une meilleure coordination entre elles et avec les cadres locaux, nationaux et régionaux peut accroître leur utilité.
Mettant l’accent sur sa nature «purement défensive», la nouvelle mission de l’UE s’appellera Aspides, d’un mot grec ancien signifiant «bouclier», selon M. Borrell, qui a également déclaré: «Notre objectif n’est pas de perpétrer des attaques, mais simplement de défendre». Il a ajouté que la mission «sera déployée en mer et (...) ne mènera aucune opération sur terre». Cette mission est apparemment destinée à se distinguer de l’opération Prosperity Guardian menée par les États-Unis, qui comprend des attaques contre des cibles houthies au Yémen.
Il existe déjà une demi-douzaine d’autres groupes dans la région qui s’occupent de différents aspects de la sécurité maritime. Le groupe le plus important est Combined Maritime Forces, dirigé par les États-Unis, qui regroupe aujourd’hui 41 pays, dont les États du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Il dispose de cinq groupes de travail chargés de lutter contre les acteurs non étatiques illicites en haute mer sur environ 8,2 millions de km2 d’eaux internationales dans le golfe Arabique, la mer Rouge, le golfe d’Aden et la mer d’Arabie.
Parmi les autres dispositifs de sécurité maritime dans la région figurent l’International Maritime Security Construct, dirigé par les États-Unis, et l’opération Prosperity Guardian, mise sur pied en décembre en réponse aux attaques des Houthis contre le transport maritime.
En outre, les pays européens ont mis en place, individuellement et collectivement, plusieurs missions portant sur certains aspects de la sécurité maritime dans la région, notamment l’opération Atalanta et l’European Maritime Awareness in the Strait of Hormuz. Aspides, la nouvelle mission de l’UE, qui doit être lancée dans le courant du mois et qui est axée sur la mer Rouge, viendra s’ajouter à ces missions européennes.
La mer Rouge et les autres zones d’activité de ces multiples missions maritimes comptent parmi les voies navigables les plus importantes pour le commerce mondial et, à ce titre, leur sécurité est une préoccupation mondiale. Il n’est pas exagéré de dire que le détroit d’Ormuz et le détroit de Bab el-Mandeb sont les principaux points de passage pour le commerce du pétrole et du gaz naturel. Plus de 27 millions de barils de pétrole y transitent chaque jour, soit environ 28% de l’approvisionnement mondial en pétrole. De même, environ 20% du gaz naturel liquéfié mondial passe par le détroit d’Ormuz et 8% par le détroit de Bab el-Mandeb.
Les menaces qui pèsent sur le transport maritime international dans ces voies navigables peuvent avoir des effets catastrophiques sur les marchés de l’énergie et les économies du monde entier. Cependant, comme l’a affirmé M. Borrell lors de la troisième édition du forum ministériel UE-Indopacifique qui s’est tenu à Bruxelles la semaine dernière, «les perturbations de la liberté de navigation ont des conséquences qui vont au-delà des pertes économiques. Il ne s’agit pas seulement de quelques jours ou de quelques dollars de plus; il s’agit de paix et de stabilité». L’effondrement de l’ordre public maritime rend la région encore plus instable.
Depuis sa création en 1981, le CCG a développé ses capacités navales et de garde côtière. Il a intégré ses efforts en matière de sécurité maritime par l’intermédiaire du Centre de coordination des opérations navales du CCG, basé à Bahreïn, et du Commandement militaire unifié du CCG, basé à Riyad.
«Il est important d’adopter une vision à plus long terme pour garantir la liberté de navigation dans la mer Rouge et le golfe d’Aden»
Dr Abdel Aziz Aluwaisheg
Selon le droit de la mer, la liberté de navigation dans les eaux internationales et les détroits est une responsabilité partagée définie dans les conventions internationales. Les pays du CCG sont tous membres du groupe Combined Maritime Forces et commandent parfois ses différentes forces opérationnelles. Le groupe de travail CCG-États-Unis sur la sécurité maritime, créé en 2015, coordonne la coopération en matière de sécurité maritime. Des organes similaires assurent la coordination avec d’autres partenaires au niveau collectif et avec les États membres à titre individuel.
Le mois dernier, l’UE et le CCG ont tenu leur premier dialogue sur la sécurité afin de coordonner leurs efforts de sécurité de bloc à bloc, notamment en matière de sécurité maritime. La décision de s’engager a été prise bien avant les récentes menaces en mer Rouge, mais elles ont conféré un sentiment d’urgence à cette tâche.
Le personnel militaire s’est acquitté de façon satisfaisante des tâches qui lui ont été confiées dans le cadre de ces groupes de travail, coalitions et opérations individuelles dont les mandats géographiques et opérationnels se chevauchent. Toutefois, la prolifération de ces entités ainsi que les processus politiques en cours et les instruments internationaux adoptés ces dernières années ont fait naître le besoin d’une coordination plus étroite entre elles.
Par exemple, les attaques des Houthis contre le transport maritime international ne doivent pas être dissociées de l’objectif interne du groupe, qui est de contrôler le destin du Yémen. Par ailleurs, les manœuvres des Houthis correspondent à la volonté de l’Iran de profiter de la guerre contre Gaza pour élargir sa sphère d’influence au niveau régional, par l’intermédiaire de ce qu’il appelle «l’axe de la résistance».
Les efforts en matière de sécurité maritime doivent donc être coordonnés avec le processus de paix mené par l’ONU au Yémen et les efforts de paix dans le conflit israélo-palestinien, ainsi qu’avec la diplomatie chinoise concernant l’accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite et ses efforts visant à persuader l’Iran de maîtriser les Houthis.
Ensuite, il est important d’adopter une vision à plus long terme pour garantir la liberté de navigation dans la mer Rouge et le golfe d’Aden, notamment dans le détroit de Bab el-Mandeb. Si les Houthis sont de plus en plus capables de menacer le transport maritime, c’est principalement parce que l’embargo sur les armes mis en place en 2015 par la résolution N°2216 du Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas été appliqué. Cette résolution a été adoptée en vertu du chapitre 7 de la Charte des Nations unies, ce qui signifie que des actions militaires et non militaires sont autorisées pour faire respecter l’embargo.
Par la suite, l’ONU a mis en place un certain nombre de mécanismes de contrôle, mais leur mise en œuvre est contournée par les actions des Houthis qui limitent la capacité du personnel de l’organisation mondiale à mener à bien ses tâches. L’application laxiste de l’embargo sur les armes signifie que les Houthis continueront à recevoir des armes, notamment des missiles antinavires, balistiques et de croisière, ainsi que des pièces de missiles, ce qui leur permettra de continuer à menacer le commerce maritime.
De même, le danger des mines marines posées par les Houthis doit être pris en compte, car elles dérivent vers les voies de navigation internationales. De nombreux incidents ont eu lieu, au cours desquels des mines ont touché des navires de passage, entraînant parfois la mort de personnes qui se trouvaient dans des bateaux plus petits. Les forces progouvernementales sont souvent parvenues à découvrir et à neutraliser des réseaux de mines navales, mais le déminage nécessite une coopération internationale pour protéger le transport maritime.
Les acteurs mondiaux qui s’associent au gouvernement internationalement reconnu du Yémen peuvent améliorer les opérations maritimes. Il serait utile de renforcer ses capacités de garde côtière par des formations et des exercices conjoints, et de l’aider à surveiller les mouvements suspects, sur terre et en mer, qui pourraient menacer le transport maritime.
Les efforts en matière de sécurité maritime se multipliant dans la région, il est nécessaire d’améliorer la coordination et la division du travail entre les différents acteurs, d’autant plus que certains sont trop petits pour agir seuls. La coopération avec des cadres locaux, nationaux et régionaux peut également accroître leur utilité.
Enfin, il est surtout essentiel d’assurer la cohérence politique. Pour être efficaces à long terme, les actions militaires doivent s’inscrire dans le cadre des processus politiques et diplomatiques en place.
Le Dr Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du Conseil de Coopération du Golfe, en charge des affaires politiques et des négociations.
Les opinions exprimées dans cet article sont personnelles et n’expriment pas nécessairement celles du CCG.
X: @abuhamad1
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com