BASSORA : Le jour de l'Aïd al-Adha, les Irakiens vont traditionnellement visiter leurs morts au cimetière avant d'aller au parc d'attraction avec les enfants. Cette année, tombes et grande roue sont interdites d'accès à tous pour cause de pandémie.
Et personne n'a vraiment le cœur à la fête dans un pays où la maladie Covid-19 a déjà emporté près 4.700 personnes et en a contaminé plus de 115.000. Et elle a surtout aggravé la crise économique née de la chute des prix du pétrole, l'unique source de devise de l'Irak.
"Avec le coronavirus, les fonctionnaires sont payés en retard, les taxis ou les journaliers ne travaillent plus et tout ça a un impact sur tout le monde", assure Ahmed Abdel Hussein, fonctionnaire de Bassora, ville à la pointe sud du pays. "Je pense surtout aux enfants qui cette année n'auront pas de cadeau à cause de la crise économique", dit-il au premier jour de la fête musulmane célébrée en plein couvre-feu total imposé dans l'ensemble du pays pour 10 jours.
Ni salaires, ni services
"Avant, l'Aïd, c'était le plus beau jour de l'année, aujourd'hui, c'est un fardeau", se lamente Falah, fonctionnaire de Bagdad de 35 ans, avec deux enfants et sa mère âgée à charge. Et d'énumérer : "Les salaires sont en retard, la ville est sous couvre-feu et nous n'avons pas d'électricité pour alléger la canicule". De même, les commerçants qui réalisent une belle part de leur chiffre d'affaires annuel lors de l'Aïd al-Adha, sont aussi touchés par la crise.
Abou Hassan al-Bazouni, qui possède un élevage ovin à Bassora a vu ses ventes de moutons fondre. "Cette année, le confinement empêche le commerce d'une province à l'autre, donc les prix des moutons ont augmenté", explique-t-il. Sans oublier que "beaucoup de gens n'ont plus de salaire" en raison du confinement. Selon un récent sondage mené par l'ONG International Rescue Committee, 73% des Irakiens interrogés affirment manger moins pour faire des économies, tandis que 61% disent avoir déjà commencé à contracter des dettes pour subvenir à leurs besoins.
Saïd Attiya, qui chaque année écoule le stock de son magasin de vêtements pour l'Aïd, a perdu "95% de (son) chiffre d'affaire avec le coronavirus". L'année dernière, cet habitant de Bassora avait embauché huit vendeurs pour la fête, mais aujourd'hui, il n'ouvre plus que cinq heures par jour, seul. Beaucoup d'autres, dit-il, ont déjà fermé boutique "car on ne peut rien importer et beaucoup ne peuvent même plus payer les loyers".
Vœux virtuels
Le confinement a aussi bloqué l'accès aux mosquées et autres lieux saints d'Irak. Pour la première fois depuis très longtemps dans un pays pourtant ravagé par de nombreux conflits, les autorités religieuses chiites ont annulé la prière de l'Aïd. Les mausolées des villes saintes de Najaf et Kerbala sont restés vides. Pour Ahmed Nejem, c'est dur de rester chez soi pendant la fête, d'habitude marquée par des visites familiales. "Cette année, on ne sort pas et on ne peut même pas payer les cadeaux" pour les enfants, dit-il.
A défaut de rendre visite à la famille élargie, les messages animés à grands renforts de fleurs et de coeurs, se multiplient sur Whatsapp ou Facebook. Photos de masques médicaux décorés de vœux de l'Aïd, montages vidéos, photographies de moutons masqués ou courtes animations, dans tous les voeux, on essaye de rire malgré la pandémie. Sur l'une des animations, un mouton se dandine en chantant : "on fait la fête avec nos masques. C'est l'Aïd, je porte mes gants. C'est l'Aïd et je n'embrasserai personne."