ZURICH: L'intelligence artificielle (IA) suscite de vives inquiétudes pour l'emploi, notamment avec l'essor de l'IA générative capable de générer des contenus, comme ChatGPT, mais elle va aussi créer de nouveaux postes, a estimé auprès de l'AFP Denis Machuel, patron du groupe suisse Adecco, numéro un mondial du travail temporaire.
- Comment l'IA va-t-elle bouleverser le monde du travail?
"C'est probablement la plus grande révolution à laquelle nous sommes en train d'assister depuis plusieurs décennies. Cela va être énorme. Et soyons clair, personne ne sait vraiment ce qui va se passer au cours des cinq prochaines années.
D'un côté, il y a toute la productivité que cela va apporter à la façon dont les gens travaillent. Plus largement, cette augmentation de la productivité va aussi détruire certaines des tâches exécutées.
Et personne ne sait véritablement quel va être l'équilibre entre les postes qui vont être détruits ou perturbés et ceux qui vont être créés. L'expérience par le passé nous indique qu'il y a plus ou moins un équilibre entre les deux. C'est ce que nous avions vu avec l'Internet ou la digitalisation.
Cette technologie va apporter beaucoup de compréhension des interactions humaines ou des marchés, mais amène aussi de la complexité. Et pour gérer cette complexité, il faudra davantage de gens. L'IA générative va apporter davantage de données, davantage de possibilités de valider de nouveaux concepts, davantage de façons d'envisager les interactions, produits et services. Pour tout cela, il faudra du personnel."
- Y a-t-il des métiers qui sont plus menacés que d'autres?
"Il est probablement encore un peu trop tôt pour dire précisément quels emplois sont menacés. Parce qu'il faut regarder quelles sont les tâches derrière. Si votre travail consiste seulement à rassembler des informations et à les synthétiser, alors votre poste est en danger, que ce soit dans les métiers de la finance, du droit ou des affaires. Parce que rassembler de l'information et la synthétiser est précisément ce que fait l'IA générative.
Les cols blancs seront probablement plus impactés, au moins à court terme. Chez les cols blancs, ce qui est lié à la gestion de masses d'informations va être davantage perturbé que les compétences liées à la mise en place de relations, à la réflexion stratégique ou à la résolution de problèmes.
Il y a toutefois une limite à cela. Si je prend l'exemple d'un avocat ou d'un para-juriste, rassembler un très grand nombre de décisions légales peut être fait par l'IA générative. Mais la compréhension approfondie et subtile de situations légales complexes et les compétences nécessaires pour résoudre des problèmes restera lié à l'humain.
En même temps, et j'insiste sur ce point, les tâches routinières qui peuvent être automatisées ne sont généralement pas les plus gratifiantes. Si elles peuvent être automatisées, cela libère du temps pour se concentrer sur des tâches plus attrayantes."
- Comment utilisez-vous l'intelligence artificielle chez Adecco?
"Nous avons signé un partenariat avec Microsoft pour créer une plateforme de carrière qui conseillera les entreprises et travailleurs sur leur parcours, les aidera à réfléchir à leurs compétences mais aussi au type de postes auxquels ils peuvent postuler. Cela pourra ouvrir des horizons sur des choses auxquelles ils n'auraient pas forcément pensé mais qui sont pourtant à leur portée grâce à leurs compétences.
La bonne nouvelle, c'est qu'il y a un bon nombre de travailleurs dont les compétences sont transférables. L'autre bonne nouvelle, c'est qu'avec l'IA générative, il y a une explosion de possibilités pour mettre à jour ses compétences et se reformer grâce à ces outils.
Nous avons aussi créé un outil de génération de CV par IA. Et pour les tâches quotidiennes de nos recruteurs, nous avons un chatbot qui interagit très rapidement avec des milliers de candidats. Cela permet à nos recruteurs de consacrer plus de temps aux contacts humains, plutôt qu'aux tâches routinières."