DUBAI: Étrange ou angoissante constituent probablement des termes adéquats pour décrire 2020. Alors même que la pandémie s’agrippe à la planète, elle sert de rappel, de signe avant-coureur des troubles économiques à venir. Mais entre travail à domicile et magasinage en ligne, les entreprises et les marchés boursiers qui ont bénéficié de la nouvelle façon de faire des affaires existent bel et bien.
Une reprise en K pandémique, où certains profitent et d'autres perdent, décrit de la meilleure manière ce qui s'est passé. Nous avons assisté à un aiguillage, l'Est de Suez se remettant plus rapidement de la pandémie et connaissant même une croissance, cependant que les marchés boursiers d'Amérique du Nord, de Chine et de certains marchés déterminés atteignaient de nouveaux sommets en dépit d’un chômage croissant.
Commençons par le commencement. Lorsque la pandémie a jeté son ombre sur le monde, les marchés boursiers mondiaux ont réagi vigoureusement, avec le S&P 500 qui a chuté de quelque 28% et le Nasdaq de 23,5%. Ce scénario s'est répété dans le monde entier. Les frontières se sont fermées et le monde s'est pratiquement enfermé.
La situation était déjà assez grave dans les États membres de l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), mais cela a causé d’incroyables difficultés dans de nombreuses économies émergentes ou en développement comme l'Inde, où les journaliers ont perdu leurs revenus, tout en étant forcés de retourner dans leurs lointains villages - contribuant ainsi à la propagation du virus.
Ce qui a suivi, ce sont d’importants programmes de relance à des niveaux jamais vus auparavant. La crise financière nous a appris que le milliard était le nouveau million. La Covid-19 a fait monter d'un cran l'arithmétique: le trillion est maintenant le nouveau milliard.
Le bilan de la Federal Reserve est passé de 3,9 billions de dollars à près de 7 billions de dollars, avec l’aide de pas moins de huit programmes distincts. Le Congrès américain a approuvé 2,2 billions de dollars au premier semestre de l'année, et 900 millions de dollars supplémentaires qui ont été entérinés par le président Donald Trump le 27 décembre.
La Banque Centrale européenne a approuvé 750 milliards d'euros (917 milliards de dollars) en mars, 600 milliards d'euros en juin, et 500 milliards d'euros en décembre, à travers son programme de rachats d’actifs (Pandemic emergency purchase programme). En même temps, l'UE s’est autorisée pour la première fois de son histoire à augmenter la dette d'un montant de 750 milliards d'euros dans ses livres afin d'atténuer le choc économique de la pandémie.
Le Japon a collecté au total plus de 3 billions de dollars entre les mesures fiscales et la Banque du Japon. La Chine, pays d'origine du virus, a levé environ 500 milliards de dollars en raison de son économie sortant relativement indemne de la pandémie d'ici la fin de l'année. Aux États-Unis, les taux d'intérêt ont baissé de 1,5%, oscillant désormais entre 0,25% et 0%, tout en faisant preuve de fermeté en territoire négatif en Europe et au Japon.
Cette injection massive de liquidités a permis aux marchés boursiers de s'envoler. Le S&P 500, le Nasdaq et même le Dow Jones ont finalement franchi des sommets historiques - le premier s'est apprécié de 58,4% depuis mars, et le second de 85,5%. Le Shanghai Composite et le Nikkei 225 se sont également remis des creux de mars de façon exponentielle, seuls les Européens restent à la traîne. Nous avons assisté à une «financiarisation» de l'économie, où la performance boursière s’est apparemment dissociée des taux de croissance économique négatifs dans les principales économies de l'OCDE.
Les FAANG (Facebook, Amazon, Apple, Netflix et Google), qui soutiennent l'économie de confinement, sont les maîtres du jeu dans la performance boursière. Les autres gagnants sont Alibaba, Ant Group, Tencent, Nividia et PayPal. Vers la fin de l'année, alors que les vaccins apparaissaient à l'horizon, nous avons assisté à une rotation provisoire de ces valeurs de croissance vers des titres de valeur et des valeurs cycliques.
Vers la fin de l’année, les géants technologiques ont fait l’objet d’une surveillance réglementaire accrue des deux côtés des océans Atlantique et Pacifique. Le plus gros coup pour le secteur est venu quand l’introduction d’Ant Group sur les bourses de Hong Kong et de Shanghai a été interrompue par les autorités chinoises.
Le pétrole est le produit qui reflète le drame du confinement et l’espoir plus vivement que toute autre ressource. L’indice West Texas Intermediate (WTI) est tombé à moins 40,32 dollars le baril à la mi-avril. L’OPEP+, un consortium formé des États membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et de leur 10 partenaires majeurs non producteurs, a contrecarré le développement en imposant des coupes de production historiques de 9,7 millions de barils par jour (b/j), qui seront ensuite réduites au nombre actuel de 7,2 millions de b/j.
Quant au prix du pétrole, il est passé à une fourchette plus confortable de 48 à 52 dollars le baril pour le Brent et de 45 à 49 dollars pour le WTI, mais cela n’aurait pas été possible sans la surveillance étroite et la réaction rapide de l’OPEP+. En ce sens, la décision du groupe de programmer des réunions ministérielles mensuelles pour s’adapter aux évolutions du marché en temps réel doit être considérée comme positive. Les choses se sont améliorées sur les marchés pétroliers, mais nous sommes loin d'être sortis de l’auberge.
Les prix du pétrole ont eu un impact important sur les budgets du Conseil de coopération du Golfe. L’Arabie saoudite a décidé de prendre la voie contracyclique en triplant la taxe sur la valeur ajoutée de 5% à 15%. Ceci dit, le gouvernement a soutenu les salaires des citoyens afin d’atténuer l’impact de la Covid-19.
Le plan de relance du Royaume représentait 6,1% du produit intérieur brut, par rapport à 29,9% à Bahreïn, 27,2% à Oman et 17,2% aux Émirats arabes unis. En effet, cela reflète l’accent mis par le gouvernement saoudien sur la gestion macroprudentielle conservatrice.
Les secteurs les plus touchés au niveau mondial étaient l’aviation, le tourisme, l’hôtellerie et la vente au détail, qui sont tous des secteurs de services à fort contact. Ces secteurs ont également perdu des millions d’emplois dans le monde. L'Association internationale du transport aérien s’attend à ce que le transport aérien ne retourne pas aux niveaux d’avant la pandémie avant 2024.
Ce sont les plus vulnérables qui ont été affectés de manière disproportionnée, aussi bien à l’intérieur des pays qu’à l’international. Les files devant les banques alimentaires aux États-Unis, en Europe et ailleurs se sont allongées, et les personnes nouvellement au chômage devaient subvenir aux besoins de leurs familles.
Les économies en voie de développement ne possédaient pas les moyens économiques nécessaires pour affronter la tempête de la pandémie. Le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et le G20 ont lancé une Initiative de suspension du service de la dette pour les 73 pays les plus pauvres du monde, dont 46 ont profité jusqu’à présent. Bien que cela puisse être un soulagement bienvenu, le moratoire s’étend en partie à la dette bilatérale.
Cependant, il ne va pas aussi loin que le club de Londres, qui examine les engagements entre les créanciers du secteur privé et les pays débiteurs. Ceci revêt une importance cruciale car de nombreux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine sont profondément endettés envers les « banques stratégiques » chinoises, qui sont classées comme des institutions purement privées.
La pandémie a causé des ravages dans l’économie mondiale. Vers la fin de l’année, le FMI a lancé une prédiction de 4,4% de contraction de l’économie mondiale en 2020. La Chine est la seule grande économie à avoir connu une légère croissance de 2,1% cette année. En effet, le Centre for Economics and Business Research a annoncé qu’en raison de la pandémie, la Chine dépassera les États-Unis en tant que première économie mondiale d’ici 2028, plus tôt que prévu.
D’ici la fin de l’année prochaine, les économies avancées devraient perdre plus de plume que prévu avant la pandémie, avec 4,7%, tandis que les économies émergentes devraient être touchées par 8,1%. À long terme, cela se traduit par une réduction de la croissance 3,5% dans les économies développées et de 5,5% dans les économies en voie de développement.
Avec l’arrivée des vaccins, nous pouvons espérer la fin des mesures de confinement et des restrictions, mais pas tout de suite, parce que nous sommes loin de l’immunité collective. Entretemps, la pandémie laisse un impact indélébile sur l’économie mondiale. Comme toujours, il y a des gagnants et des perdants. Malheureusement, les plus faibles parmi les faibles font partie des perdants, comme toujours.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com