JÉRUSALEM : La bande de Gaza est soumise à d'intenses frappes israéliennes depuis que le Hamas au pouvoir dans le territoire palestinien a lancé, le 7 octobre, l'attaque la plus meurtrière sur le sol israélien depuis la création de l'Etat d'Israël en 1948.
Vingt jours plus tard, l'armée a lancé une offensive terrestre et pris le contrôle de plusieurs secteurs de la bande de Gaza.
L'attaque menée par des commandos à partir de ce territoire a fait environ 1.140 morts en Israël, selon les autorités locales. L'offensive israélienne a fait au moins 20.057 morts, d'après le gouvernement du Hamas.
Quelque 1,9 million de personnes ont été déplacées à Gaza depuis le début de la guerre, soit 85% de la population.
L'AFP a rencontré trois femmes qui témoignent de leurs vies bouleversées depuis près de trois mois.
Nour al-Wahidi, 24 ans, interne en médecine
«Notre situation est meilleure que celle des autres», estime pudiquement Nour al-Wahidi.
Après 38 jours consécutifs passés dans l'hôpital Al-Chifa de la ville de Gaza, soignant des patients dans des conditions des plus précaires, elle travaille désormais aux services des urgences de l'hôpital koweïtien de Rafah, dans le sud du territoire.
«En marchant dans la rue, j'étais sous le choc. J'ai travaillé ces deux dernières années, pendant des moments d'escalade, mais cette guerre est différente en tout: la durée, le nombre de morts, la gravité des blessures, le déplacement».
«Chaque jour, je vois des souffrances que je n'aurais jamais imaginé voir».
La jeune femme vit depuis un mois dans un appartement avec 20 autres personnes de sa famille élargie, après avoir été déplacée à deux reprises en moins de trois mois.
Une partie de sa famille a pris abri dans une école de l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens, l'Unrwa, et l'autre est restée dans la ville de Gaza. Elle a perdu tout contact avec celle-ci, car les télécommunications et l'électricité sont largement coupées.
«Avant, j'étais chez moi, avec tout le nécessaire. Maintenant je me retrouve dans cet étrange endroit, sans eau ni nourriture. La situation est catastrophique et les maladies se propagent rapidement», dit la jeune femme, stéthoscope autour du cou.
Nour al-Wahidi tente de relativiser en se disant que d'autres vivent des situations encore plus difficiles.
«Après le travail, je peux rentrer chez moi, je cuisine et j'allume un feu. Je me lave les mains quand il y a de l'eau».
«Nous avons commencé à réfléchir à l'approvisionnement en eau et en nourriture, à la façon de charger les téléphones. Des choses auxquelles on avait jamais pensé avant».
«Mais nous ne méritons pas cette vie, en fait personne ne devrait avoir à vivre cette vie».
Même si elle doit partir, elle assure qu'elle fera tout pour revenir.
Sondos al-Bayed, 32 ans, femme au foyer
«Notre vie a basculé, c'est un changement à 180 degrés».
Originaire de la ville de Gaza, Sondos al-Bayed vit sous une tente devant l'hôpital koweïtien de Rafah, avec ses trois enfants et son mari, un journaliste.
Avant d'arriver à cette partie dans le sud du territoire, son trajet de déplacée s'est fait en plusieurs étapes.
Elle a d'abord fui la ville de Gaza en direction de Deir el-Balah (centre).
Mais les propriétaires qui les ont accueillis leur ont demandé de partir, «par peur que les journalistes soient ciblés» par les frappes israéliennes, dit Mme al-Bayed à l'AFP.
«J'ai tellement pleuré... Je ne savais pas quoi faire».
Ils ont repris la route pour Khan Younès, grande ville du sud. Mais l'armée israélienne a enjoint les habitants et les déplacés à quitter cette zone également, les poussant à l'extrémité sud, à la frontière avec l'Egypte.
Avec le peu qu'elle trouve, elle prépare des repas aux enfants. «Mais ils refusent de manger, c'est mauvais et périmé».
«L'exil est difficile, tout comme se séparer de la famille, mais aussi des souvenirs».
«Nous étions heureux et avions une vie stable, nous rêvions de construire une nouvelle maison plus grande. J'aimerais que (cette vie) revienne».
Lynn Rouk, 17 ans, lycéenne
«Ma vie c'était tellement la routine, je m'en plaignais. La guerre a tout changé».
Lynn Rouk vit dans un camp de fortune de Rafah, avec ses parents, son frère, ses quatre soeurs et la fille de l'une d'elles.
Dès le deuxième jour de la guerre, le 8 octobre, ils ont quitté leur domicile de Khan Younès.
«On a pris une photo de la maison en pleurant».
«Je pensais qu'on rentrerait au bout d'une semaine. Ca fait plus de 70 jours et nous ne sommes toujours pas rentrés».
«Au début, je ne voulais pas boire et manger, pour éviter d'aller aux toilettes. Elles sont sales et il y de longues files d'attente. Y aller, c'est comme effectuer un voyage tant elles sont loin».
L'adolescente, qui dit avoir perdu sept kilos depuis le début de la guerre, est tombée malade plusieurs fois et a perdu connaissance une fois, lui valant d'être conduite aux urgences.
Aujourd'hui, les repas sont principalement faits de boîtes de conserves, rarement de pain.
«Je ne pensais pas vivre cette vie un jour. Chez nous, il y avait quatre salles de bain. Avant la guerre, je me douchais tous les jours. Maintenant, si j'ai de la chance, je me lave à la mosquée une fois par semaine, dans les lavabos réservés aux ablutions, s'il y a de l'eau».
La jeune fille, qui rêve d'étudier le journalisme, craint de perdre ses camarades et pour sa vie. Elle aimerait pouvoir voyager pour réaliser son rêve.
«J'en viens à espérer un retour à ma vie d'avant, celle que je n'aimais pas pourtant».