NANTES: Avril 2019. Dans le sous-sol d'un immeuble nantais, la police découvre plusieurs kalachnikov, des fusils à pompes et une dizaine de pistolets automatiques. Un arsenal que de longs mois d'enquête lieront à une violente "guerre des clans" sur fond de trafic de drogue.
Cette "escalade des violences", dont des protagonistes présumés ont été renvoyés cet automne devant les assises par la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Rennes, commence fin février 2019 à un mariage.
Alors que l'on s'apprête à célébrer celui de M.A., 24 ans à l'époque, des tirs de kalachnikov résonnent dans le hall de l'immeuble où la fête a lieu, sans faire de blessé.
D'après la police judiciaire, le jeune marié entretenait jusque-là un "lien étroit" avec le "clan L.", du quartier Malakoff, qui régit une partie du trafic de drogue nantais.
Parce qu'il a décidé, toujours selon l'enquête, de monter dans le quartier Bellevue un réseau parallèle dont les prix défient la concurrence, le "clan L." "s'est mis à (ses) trousses", résume un témoin aux policiers.
"Le jour des tirs de mon mariage, dans ma tête c'était l'apocalypse (...) Là, je me suis énervé, pour moi y a plus de frein", leur confiera M.A. quelques mois plus tard.
Il est alors interrogé dans le cadre d'une enquête sur une autre fusillade: le jeune homme est soupçonné d'avoir commandité les tirs qui ont fait un mort fin avril 2019 dans un bar à chicha, le Moonlight.
De la fusillade du mariage à celle du Moonlight, les enquêteurs ont relié six scènes de tirs consécutives.
«Pas pour le plaisir»
Mi-mars, quelques semaines après le mariage, un homme descend d'une voiture et ouvre le feu dans un bar à chicha, le Copacabana, faisant un blessé. Mis en examen dans cette affaire, M.A. a par la suite bénéficié d'un non-lieu.
Début avril, un "homme cagoulé" tire à plusieurs reprises sur le même M.A., devant son domicile. Il est touché à la main, la hanche et la cuisse.
Deux semaines plus tard, des tirs éclatent dans la nuit place Mendès-France puis sur un boulevard voisin, en plein cœur du quartier Bellevue.
Dans une conversation interceptée à l'époque par les policiers, un proche demande à M.A.:
- "Pourquoi ils sont en confiance comme ça ? Pourquoi ils ont allumé (l'une des victimes), il n'a rien à voir ?"
- "Ils étaient sur moi", répond-il.
Trois jours après, quatre jeunes hommes sont blessés par balle sur la même place. Les tireurs font feu "à de nombreuses reprises" depuis des scooters et un break.
L'un des jeunes soupçonné d'avoir tiré était mineur au moment des faits. Dans une conversation interceptée par les policiers, il affirme: "mais nous on est payés pour faire ça (...) Moi, je le fais pas pour le plaisir".
Confronté à ces propos par la suite, il expliquera aux enquêteurs qu'il voulait seulement "impressionner" ses interlocuteurs.
«Vraie guerre»
Soupçonnés d'être impliqués dans la tentative de meurtre sur M.A. et dans les deux fusillades de la place Mendès-France, treize personnes ont été renvoyées à l'automne devant la cour d'assises spéciale d'Ille-et-Vilaine et deux autres jeunes hommes devant la cour d'assises des mineurs de Loire-Atlantique.
Sept d'entre eux ont fait appel de cette mise en accusation. Le parquet a par la suite fait appel de l'ensemble de l'ordonnance pour éviter des disjonctions.
La décision de la chambre de l'instruction est attendue fin janvier.
Parmi les mis en cause, l'enquête distingue plusieurs rôles: les fournisseurs d'armes, les logisticiens, chargés de garder véhicules et fusils en lieu sûr, les tireurs et le chef de clan.
Au sous-sol de l'immeuble identifié comme une "place stratégique en termes de logistique" dans cette affaire, proche du quartier Malakoff, les enquêteurs avaient retrouvé, outre des armes, 60 kg de cannabis, 400 g de MDMA, une drogue de synthèse, et une balance de précision "permettant de relier directement les fusillades et le trafic de stupéfiants".
D'après l'enquête, les fusillades du printemps 2019 "ne peuvent se comprendre que mises en perspective les unes avec les autres" et révèlent une "montée en puissance des règlements de comptes".
Dans une conversation avec un proche interceptée à l'époque par les policiers, M.A. disait: "c'est une vraie guerre, tu ne me croyais pas."
En 2023, le parquet de Nantes a recensé dans la ville une quarantaine d'épisodes de tirs "sur fond probable de règlements de comptes". Ils ont tué quatre personnes, dont deux dans le quartier Bellevue.