PARIS: De manifestations en vagues épidémiques, l'hôpital a été mis à rude épreuve en 2020 et, malgré les applaudissements et les hausses de salaires, ses «héros en blouses blanches» finissent l'année lessivés et désabusés.
Avant la Covid, il y avait la rage. Une révolte des soignants, que deux plans gouvernementaux n'avaient pas pu endiguer. Quelque temps éclipsée par la bataille des retraites, cette crise sans fin est revenue dans la lumière au début de l'année 2020 à la faveur d'un coup d'éclat : la démission, comme un seul homme, d'un millier de médecins chefs de service.
Onze mois après le début de la grève des urgences, la mobilisation est toujours là : le 14 février, pour la Saint-Valentin, ils sont plusieurs milliers à défiler partout en France, «le cœur brisé». Deux jours plus tard, Agnès Buzyn plaque le ministère de la Santé. La rupture était de toute façon consommée.
Son successeur, Olivier Véran, promet une «enquête nationale» sur «les raisons de (ce) mal-être». Maigre gage de la part de celui qui prophétisait quelques mois plus tôt : «Quand l'hôpital sort de son lit, c'est difficile de l'y remettre».
Mais soudain, tout s'arrête. Le coronavirus monopolise les forces. «Armement» de lits de réanimation supplémentaires, déprogrammation d'opérations, annulation de congés, appel aux volontaires... Le 8 avril, les services de réanimation comptent près de 7 200 patients atteints de la Covid-19.
Le pire et le meilleur
La «vague» révèle le pire : vols de masques, pénuries de blouses (parfois remplacées par des sacs poubelle), manque de respirateurs, d'anesthésiants et, surtout, de bras et de lits (100 000 ont été fermés en 20 ans).
Paradoxalement, cette première vague laisse aussi entrevoir le meilleur : l'argent ne semble plus une contrainte et l'administration hospitalière se met au service de la médecine.
«En période Covid, on est main dans la main avec la direction de l'hôpital. On voit arriver du personnel, on est tous efficace pour faire du soin de qualité», témoigne la diabétologue Agnès Hartemann, figure du Collectif Inter-Hôpitaux (CIH).
Une parenthèse à la fois douloureuse et enchantée, rythmée chaque soir par les applaudissements d'un peuple confiné. Ce soutien de la rue se transforme rapidement en promesse : celle d'un «plan massif d'investissement et de revalorisation», annoncé fin mars par le président Emmanuel Macron.
Après des années de restrictions budgétaires et des semaines sous l'essoreuse Covid, les attentes sont stratosphériques, le moindre faux pas ravive les plaies. Comme la «prime Covid» dont le montant varie du simple au triple. Ou la «médaille de l'engagement» que l'Elysée a vite renoncé à rétablir.
Forcé de faire mieux, le ministre Véran lance un «Ségur de la santé» censé aboutir «vite et fort». La colère des soignants se réveille : des rassemblements fleurissent en plein état d'urgence, où l'on réclame «du fric pour l'hôpital public».
Bombe à retardement
A la mi-juin, la pression monte encore d'un cran : des manifestations, les premières dans le pays depuis plus de trois mois, rassemblent des dizaines de milliers de soignants.
Les négociations s'accélèrent, le gouvernement met 6, 7 puis 8 milliards d'euros sur la table. Un accord est conclu à l'arraché avec une majorité de syndicats la veille du 14 juillet. Fraîchement nommé à Matignon, Jean Castex salue ce «moment historique».
Mais septembre voit poindre l'impatience de ceux qui attendent leur augmentation et la grogne de ceux qui n'y ont pas droit. Entre deux journées d'action pour ces «oubliés du Ségur», le Premier ministre décide mi-octobre de hâter le calendrier des hausses de salaires.
Sur le terrain, l'heure est à «la déception post-Ségur» car «le choc d'attractivité n'a pas eu lieu», affirme le cardiologue Olivier Milleron, porte-parole du CIH.
A l'automne, la deuxième «vague» frappe un hôpital sur les rotules, où la Covid a tué 40 000 personnes en neuf mois (58 000 en comptant les Ehpad).
L'absence de prise en charge des autres maladies fait planer la menace d'une bombe sanitaire à retardement, tandis que les réformes de fond (financement, gouvernance, organisation territoriale des soins) se font attendre.
«Force est de constater que ces sujets n'ont pas bougé», regrette le président de la Fédération hospitalière de France, Frédéric Valletoux, qui croit néanmoins que «2021 peut encore être une année utile pour poser les bases d'un système de santé totalement repensé».