«On ne peut plus en vivre»: en 2020, la galère des travailleurs de la gig economy

 Les manifestations dans plus d'une douzaine de villes précèdent l'offre publique initiale prévue d'Uber à la Bourse de New York (NYSE), ce qui pourrait porter le calcul de la société de covoiturage à 91,5 milliards de dollars. Les conducteurs recherchent des salaires plus élevés et de meilleurs droits en tant qu'employés (Photo, AFP).
Les manifestations dans plus d'une douzaine de villes précèdent l'offre publique initiale prévue d'Uber à la Bourse de New York (NYSE), ce qui pourrait porter le calcul de la société de covoiturage à 91,5 milliards de dollars. Les conducteurs recherchent des salaires plus élevés et de meilleurs droits en tant qu'employés (Photo, AFP).
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Publié le Lundi 28 décembre 2020

«On ne peut plus en vivre»: en 2020, la galère des travailleurs de la gig economy

  • «Une course peut valoir 6 euros le midi et la même 3 euros le soir. On ne peut plus vivre avec ce job, à moins de devenir des esclaves»
  • Un siècle plus tard, la «gig economy» ou «économie à la tâche» fait vivre dans le monde des millions de personnes, en particulier des chauffeurs ou livreurs de repas, qui travaillent au gré des algorithmes d'Uber, Deliveroo ou autres plate-formes

PARIS: De Paris à Kuala Lumpur, en passant par la Californie, «on ne peut plus vivre de ce job», ou alors difficilement. Les travailleurs de la «gig economy» sont confrontés avec la pandémie à une précarité toujours plus grande.

«Gig» ou «job», c'est ainsi que dans les années 1920, des musiciens de jazz désignaient une prestation rémunérée ponctuelle.

Un siècle plus tard, la «gig economy» ou «économie à la tâche» fait vivre dans le monde des millions de personnes, en particulier des chauffeurs ou livreurs de repas, qui travaillent au gré des algorithmes d'Uber, Deliveroo ou autres plate-formes.

 EN FRANCE, NE PAS ETRE «ESCLAVE» DES ALGOS

Wissem Inal, 32 ans, trapu, barbe naissante sur un visage rond, avale 700 kilomètres par semaine pour livrer à scooter des plats cuisinés en banlieue parisienne.

Il travaille pour la plate-forme Deliveroo depuis 2017, mais aussi d'autres comme Uber Eats et Stuart. Et livre six à dix commandes chaque soir, entre 18h et 23h. 

«En ce moment, avec le confinement, je sors 500 euros net par mois».

Wissem reconnaît avoir du mal à «voir le bon côté» de son emploi depuis quelques mois, critiquant le «flou» de l'algorithme de Deliveroo.

«Une course peut valoir 6 euros le midi et la même 3 euros le soir. On ne peut plus vivre avec ce job, à moins de devenir des esclaves».

Lui-même a rejoint le Collectif des livreurs autonomes parisiens (Clap), dédié à la défense d'auto-entrepreneurs comme lui.

En 2018, le coursier a été victime d'une rupture des ligaments croisés après un accident lors d'une livraison. «Six mois de galère», pourtant il n'entend pas renoncer à travailler pour des plateformes. 

«Mais on doit être capables de se défendre».

EN CALIFORNIE, «JONGLER» POUR S'EN SORTIR

Erica Mighetto a cessé de conduire pour Uber en mars.

Il y a trois ans, pourtant, «la vie était belle», raconte cette femme enjouée, presque quadragénaire. Elle s'était lancée sur Lyft, le concurrent américain de Uber, le temps de retrouver un emploi de comptable - comme nombre de chauffeurs, qui essaient de gagner suffisamment d'argent pour passer à autre chose, sans y arriver.

«Je choisissais mes horaires, mon fils venait de quitter le nid, j'avais ce sentiment de liberté retrouvée...». 

Habitante de Sacramento, elle passe régulièrement le week-end dans la baie de San Francisco, plus lucrative, quitte à dormir dans sa voiture ou dans un foyer à 25 dollars la nuit.

Des 60 ou 80 dollars bruts de l'heure qu'elle pouvait gagner à San Francisco en 2017, il ne reste que 20 dollars en début d'année, moins de 10 en mars.

Elle aussi dénonce les règles opaques des applications. «L'algorithme me connaît personnellement. Donc les offres de bonus sont taillées sur mesure en fonction de ce que je vais accepter, par exemple 350 dollars si je fais au moins 120 courses dans la semaine».

Au printemps, Erica cesse de conduire pour se protéger du Covid-19.

Elle se bat pour percevoir l'assurance versée aux salariés au chômage technique : 450 dollars par semaine, au lieu des 167 prévus pour les travailleurs indépendants. Elle a aussi reçu 600 dollars par semaine d'aide fédérale pendant quatre mois. 

Erica, qui a passé l'automne à clamer avec le groupe «Rideshare Drivers United» que les entreprises sont une »arnaque», n'a surtout pas digéré la défaite aux urnes.

Le 3 novembre, les habitants de Californie ont voté à plus de 58% dans le sens d'Uber et Lyft, qui demandaient que les chauffeurs restent contractuels. Alors que l'Etat veut les obliger à les considérer comme des employés. 

Devon Gutekunst, Californien de 27 ans, livre des repas, notamment via la plate-forme DoorDash - qui a levé plus de 3 milliards de dollars via une entrée en Bourse triomphale.

Son téléphone lui signale une course: «5,50 dollars pour 4,6 miles (7,5 km) et ils veulent la livraison dans 30 minutes. Ca équivaut à 11 dollars de l'heure, c'est trop peu». Lui s'est fixé un minimum de 18 dollars.

Sa «stratégie»: être sélectif, se cantonner à l'ouest de Los Angeles et aux villes balnéaires chics de Marina Del Rey et Santa Monica. Et surtout «jongler» entre DoorDash et des applications concurrentes.

Au plus fort du confinement en Californie, «entre mai et août, je gagnais bien, il y avait beaucoup plus d'activité. C'est un peu plus calme maintenant. Ou alors c'est qu'il y a trop de livreurs sur le marché».

EN MALAISIE, 14 HEURES POUR 27 DOLLARS

Amal Fahmi, 24 ans, a l'oeil rivé à son téléphone mobile, plus précisément à l'application Grab de livraison, populaire en Asie du Sud-Est. 

Comme de très nombreux Malaisiens, il gagne sa vie en livrant à moto des repas, médicaments et emplettes dans la ville très animée de Petaling Jaya, en périphérie de la capitale Kuala Lumpur.

Avant la pandémie, le jeune homme aux cheveux longs était chauffeur de VTC, aussi via Grab, à Johor, ville du sud du pays.

«Je gagnais bien et facilement ma vie. Mais avec le virus, c'est devenu plus dur, beaucoup de gens ont perdu leur travail et mon revenu a baissé», explique-il, en attendant à l'extérieur d'un magasin que soit préparée sa commande, la neuvième qu'il livre ce jour-là.

Amal a donc quitté sa ville natale pour la capitale et ses environs, dans l'espoir d'y trouver plus de travail.

Il gagne un peu plus de 700 dollars (américains) par mois, à condition de ne pas compter ses heures. Un peu plus tard dans la journée, il atteindra sa moyenne quotidienne - 27 dollars - au bout de quatorze heures de travail.

«Regardez autour de moi, nous sommes si nombreux à faire de la livraison, cela devient difficile.»

Amal, qui n'a pas de diplômes ou de qualifications, préfèrerait un emploi stable, mais il ne rejette pas tout en bloc: «Ce qui me motive, c'est que je suis mon propre patron... Je peux gérer mon temps et surtout, personne ne m'engueule». 


En Nouvelle-Calédonie, situation «plus calme» mais vie quotidienne difficile

Des personnes font la queue pour acheter des provisions dans un supermarché alors que des articles carbonisés précédemment incendiés sont visibles à la suite des troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur AFP)
Des personnes font la queue pour acheter des provisions dans un supermarché alors que des articles carbonisés précédemment incendiés sont visibles à la suite des troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur AFP)
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  • Vendredi en fin de soirée, l'arrivée de 1.000 renforts supplémentaires, en plus des 1.700 déjà déployés, a montré la détermination des autorités françaises pour reprendre le contrôle de la situation
  • Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a recensé 3.200 personnes bloquées en raison de l'absence de vols commerciaux au départ de et vers l'archipel

NOUMÉA, France : La vie quotidienne des Néo-Calédoniens devient de plus en plus difficile samedi, malgré une situation «plus calme» sur la majeure partie de l'archipel français du Pacifique Sud, au sixième jour des émeutes causées par une réforme électorale qui a provoqué la colère des indépendantistes.

Vendredi en fin de soirée, l'arrivée de 1.000 renforts supplémentaires, en plus des 1.700 déjà déployés, a montré la détermination des autorités françaises pour reprendre le contrôle de la situation.

Mais pour les habitants, les dégâts de plus en plus étendus compliquent le ravitaillement dans les commerces, ainsi que le fonctionnement des services publics, notamment de santé.

Le danger subsiste par ailleurs dans les quartiers où les émeutiers sont les plus nombreux et les mieux organisés.

Dans l'un d'eux, la Vallée du Tir à Nouméa, un motard s'est tué vendredi en fin d'après-midi dans un accident de la route en heurtant une épave de voiture, selon le procureur de la République de Nouméa, Yves Dupas.

Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a appelé lors d'une conférence de presse à cesser barrages et barricades.

«On est en train de s'entretuer et on ne peut pas continuer comme ça», a déclaré Vaimu'a Muliava, membre du gouvernement chargé de la fonction publique.

«Des gens meurent déjà non pas à cause des conflits armés, mais parce qu'ils n'ont pas accès aux soins, pas accès à l'alimentation», a-t-il ajouté.

Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a aussi recensé 3.200 personnes bloquées en raison de l'absence de vols commerciaux au départ de et vers l'archipel.

Les autorités françaises espèrent que l'état d'urgence en vigueur depuis jeudi va continuer à faire reculer les violences, qui ont débuté lundi après une mobilisation contre une réforme électorale contestée par les représentants du peuple autochtone kanak.

Depuis, la crise qui frappe ce territoire colonisé par la France au XIXe siècle a fait cinq morts, dont deux gendarmes et trois civils kanaks, et des centaines de blessés au cours de violentes nuit d'émeutes. En réponse, le gouvernement a envoyé des renforts policiers, interdit TikTok - réseau social prisé des émeutiers -, et déployé des militaires.

- Strict minimum -

Devant les rares magasins de Nouméa qui n'ont pas été ravagés par les flammes ou pillés, les files d'attente restaient très longues samedi.

«Cela fait plus de trois heures qu'on est là», soupirait Kenzo, 17 ans, en quête de riz et de pâtes.

Selon la Chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle-Calédonie, les violences ont «anéanti» 80% à 90% de la chaîne de distribution commerciale de la ville.

Le représentant de l'Etat français en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc, a promis la mobilisation de l'Etat pour «organiser l'acheminement des produits de première nécessité» et un «pont aérien» entre la métropole et son archipel, séparés de plus de 16.000 km.

De son côté, un responsable de l'hôpital de Nouméa, Thierry de Greslan, s'est alarmé de la dégradation de la situation sanitaire. «Trois ou quatre personnes seraient décédées hier (jeudi) par manque d'accessibilité aux soins», en raison notamment de barrages érigés dans la ville, a-t-il avancé sur la radio France Info.

Face à la «gravité» de la situation et afin «de répondre aux besoins sanitaires de la population», l'Etablissement français du sang (EFS) a annoncé vendredi l'envoi de produits sanguins.

- «Grande fermeté» -

A Paris, le ministre de la Justice a demandé au parquet «la plus grande fermeté à l'encontre des auteurs des exactions». Eric Dupond-Moretti a aussi indiqué qu'il envisageait de transférer les «criminels» arrêtés sur le «Caillou» en métropole «pour ne pas qu'il y ait de contaminations (...) des esprits les plus fragiles».

Parallèlement, la justice française a ouvert une enquête sur «les commanditaires» des émeutes, ciblant notamment le collectif CCAT (Cellule de coordination des action de terrain), frange la plus radicale des indépendantistes, déjà mis en cause par le gouvernement.

«J'ai décidé d'ouvrir une enquête visant notamment des faits susceptibles de concerner des commanditaires», parmi lesquels «certains membres de la CCAT», a déclaré le procureur Yves Dupas, pointant «ceux qui ont instrumentalisé certains jeunes dans une spirale de radicalisation violente». Au total, depuis dimanche, 163 personnes ont été placées en garde à vue, dont 26 ont été déférées devant la justice, selon le parquet.

Jeudi, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait qualifié la CCAT d'organisation «mafieuse».

Vendredi, ce collectif a demandé «un temps d'apaisement pour enrayer l'escalade de la violence». Sur la radio RFI, un de ses membres, Rock Haocas, a assuré que son organisation «n'a pas appelé à la violence», attribuant ces émeutes à une «population majoritairement kanak marginalisée».

Sur le front politique, après l'annulation d'une visioconférence avec tous les élus calédoniens jeudi, le président français Emmanuel Macron a commencé vendredi à avoir des échanges avec certains d'entre eux mais son service de communication a refusé d'en dire plus.

Présentée par son gouvernement, la réforme constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales sur l'archipel. Les partisans de l'indépendance estiment que cette modification risque de réduire leur poids électoral.

Paris a par ailleurs détaillé ses accusations portées contre l'Azerbaïdjan «d'ingérences» en Nouvelle-Calédonie, archipel stratégique pour la France qui veut renforcer son influence en Asie Pacifique et de part ses riches ressources en nickel.

Paris a évoqué une «propagation massive et coordonnée» de contenus relayés par des comptes liés à Bakou et accusant la police française de tirer sur des manifestants indépendantistes.

 

 


Rouen: un homme armé tentant de mettre le feu à une synagogue tué par la police

"A Rouen, les policiers nationaux ont neutralisé tôt ce matin un individu armé souhaitant manifestement mettre le feu à la synagogue de la ville. Je les félicite pour leur réactivité et leur courage", écrit M. Darmanin sur X. (Reuters).
"A Rouen, les policiers nationaux ont neutralisé tôt ce matin un individu armé souhaitant manifestement mettre le feu à la synagogue de la ville. Je les félicite pour leur réactivité et leur courage", écrit M. Darmanin sur X. (Reuters).
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  • Selon une source proche du dossier, l'homme était armé «d'un couteau et d'une barre de fer»
  • «Il aurait menacé un policier d’un couteau et ce dernier a fait usage de son arme et l’individu est décédé», a précisé le procureur

ROUEN: Des policiers ont abattu vendredi matin un homme armé notamment d'un couteau qui tentait de mettre le feu à une synagogue à Rouen et les menaçait, a annoncé le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin.

Vers 6h45, les policiers sont "intervenus sur un signalement de dégagement de fumée près de la synagogue", située rue des Bons enfants dans le centre historique de Rouen, a détaillé une source policière à l'AFP.

"Un individu a mis le feu à la synagogue de Rouen. Il aurait pris à partie les policiers et les pompiers", a pour sa part indiqué à l'AFP le procureur de Rouen, Frédéric Teillet.

Selon une source proche du dossier, l'homme était armé "d'un couteau et d'une barre de fer".

"Ensuite, il aurait menacé un policier d’un couteau et ce dernier a fait usage de son arme et l’individu est décédé", a précisé le procureur.

Une première enquête a été ouverte pour "incendie volontaire" visant un lieu de culte, "violences volontaires sur personnes dépositaires de l’autorité publique confiée à la DGPN, a fait savoir le parquet.

Un autre enquête a été ouverte sur les circonstances du décès de l'individu armé pour "violences volontaires avec armes ayant entrainé la mort sans intention de la donner", confiée à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN).

"A Rouen, les policiers nationaux ont neutralisé tôt ce matin un individu armé souhaitant manifestement mettre le feu à la synagogue de la ville. Je les félicite pour leur réactivité et leur courage", a écrit M. Darmanin sur X.

L'homme abattu par les forces de l'ordre n'a pas été immédiatement identifié, a-t-on précisé de source policière.

Sollicité par l'AFP, le Parquet national antiterroriste indique être en train d'évaluer s'il se saisit du dossier.

De nombreux pompiers et policiers étaient déployés sur place vendredi matin, a constaté un journaliste de l'AFP.

«Sous le choc»

Selon le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, les pompiers maîtrisaient vendredi matin le départ de feu et il n'y aurait "pas d'autres victimes que l'individu armé".

"A travers cette agression et cette tentative d'incendie de la synagogue de Rouen, ce n'est pas seulement la communauté israélite qui est touchée. C'est toute la ville de Rouen qui est meurtrie et sous le choc", a réagi  le maire sur X.

"Tenter de brûler une synagogue, c'est vouloir intimider tous les Juifs. Une nouvelle fois, on veut faire peser un climat de terreur sur les Juifs de notre pays. Combattre l'antisémitisme, c'est défendre la République", a affirmé sur X le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) Yonathan Arfi.

Gérald Darmanin avait demandé le 14 avril dernier aux préfets de renforcer la sécurité devant les lieux de culte juifs ainsi que devant les écoles confessionnelles, au lendemain de l'attaque menée par l'Iran contre Israël.

Les opérations militaires lancées par l'Etat hébreu contre la bande de Gaza, qui ont causé la mort de plus de 35.000 personnes, en représailles à l'attaque des combattants du Hamas contre Israël le 7 octobre dernier ont provoqué une forte hausse des actes d'antisémitisme en France.

Début mai, le Premier ministre Gabriel Attal avait annoncé que "366 faits antisémites" avaient été enregistrés au premier trimestre 2024, soit "une hausse de 300% par rapport aux trois premiers mois de l'année 2023".

Face à cette hausse, "pas un acte ne doit rester impuni, pas un antisémite ne doit avoir l'âme tranquille", avait affirmé le chef du gouvernement en promettant de "faire preuve d'une fermeté exemplaire à chaque acte".


Des Français musulmans s'exilent à l'étranger, fuyant la « morosité ambiante »

Sur plus de 1.000 personnes répondant à un questionnaire relayé par l'intermédiaire de réseaux militants, 71% ont cité le racisme ou les discriminations pour expliquer ce choix, selon cette enquête, intitulée "La France, tu l'aimes mais tu la quittes". (AFP).
Sur plus de 1.000 personnes répondant à un questionnaire relayé par l'intermédiaire de réseaux militants, 71% ont cité le racisme ou les discriminations pour expliquer ce choix, selon cette enquête, intitulée "La France, tu l'aimes mais tu la quittes". (AFP).
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  • Une étude de sociologie publiée le mois dernier rapporte que des Français de culture musulmane, hautement qualifiés, souvent issus de l'immigration, quittent la France pour un nouveau départ
  • Ses amis, sa famille, la culture française lui manquent, mais il raconte avoir fui "l'islamophobie" et le "racisme systémique" entraînant des contrôles policiers à répétition à son encontre

PARIS: Après avoir échoué à 50 entretiens d'embauche pour un job de consultant, en dépit de ses qualifications et diplômes, Adam, Français de confession musulmane, a fait ses valises pour commencer une nouvelle vie à Dubaï.

"Je me sens beaucoup mieux ici qu'en France", estime désormais ce trentenaire d'origine nord-africaine.

"Ici on est tous égaux. On peut avoir comme patron une personne indienne, une personne arabe, un Français", témoigne-t-il à l'AFP, ajoutant que sa religion est "plus acceptée".

Une étude de sociologie publiée le mois dernier rapporte que des Français de culture musulmane, hautement qualifiés, souvent issus de l'immigration, quittent la France pour un nouveau départ dans des villes telles que Londres, New York, Montréal ou Dubaï.

Sur plus de 1.000 personnes répondant à un questionnaire relayé par l'intermédiaire de réseaux militants, 71% ont cité le racisme ou les discriminations pour expliquer ce choix, selon cette enquête, intitulée "La France, tu l'aimes mais tu la quittes".

En France, "vous devez faire deux fois plus d'efforts quand vous venez de certaines minorités", reprend Adam, qui ne donne pas son nom de famille, comme tous ceux interrogés par l'AFP.

Ses amis, sa famille, la culture française lui manquent, mais il raconte avoir fui "l'islamophobie" et le "racisme systémique" entraînant des contrôles policiers à répétition à son encontre.

'Plafond de verre'

La France, ancienne puissance coloniale et pays d'immigration, compte une importante population d'origine maghrébine et africaine.

Les enfants d'immigrés venus chercher une vie meilleure ou appelés à constituer une main d'oeuvre bon marché dans les années 60 sont Français. Mais nombre d'entre eux se sentent étrangers dans leur propre pays, considérés comme des "citoyens de seconde zone". En particulier depuis les attentats jihadistes de 2015 en France.

"Le climat en France s’est largement dégradé. En tant que musulman on est pointé du doigt", estime sous couvert de l'anonymat un banquier franco-algérien de trente ans, qui s'apprête à quitter son pays en juin, direction Dubaï.

Il évoque notamment certaines chaînes d'info et éditorialistes assimilant tous les musulmans à des extrémistes religieux ou des fauteurs de troubles.

Ce fils d'une femme de ménage algérienne, titulaire de deux masters, estime en outre s'être heurté à un "plafond de verre" dans son parcours professionnel en France.

En France, les statistiques ethniques et religieuses sont interdites. Mais de nombreuses enquêtes documentent depuis des années les discriminations frappant les personnes d'origine immigrée dans la recherche d'emploi, de logement, les contrôles policiers...

Un candidat au nom français a près de 50% de chances supplémentaires d’être rappelé par un employeur par rapport à un candidat au nom maghrébin, rappelle ainsi l'Observatoire des inégalités dans son rapport 2023.

'Morosité'

Le rapport très particulier de la France à la laïcité, les polémiques récurrentes sur le voile musulman, provoquent aussi le malaise chez certains.

"Il y a une vraie spécificité française sur cette question. Dans notre pays, une femme qui porte le voile est reléguée à la marge de la société et il lui est notamment très difficile de trouver un emploi. Des femmes portant le hidjab qui veulent travailler sont donc assez logiquement amenées à quitter la France", explique Olivier Esteves, l'un des auteurs de l'étude, au Monde.

"On étouffe en France", raconte à l'AFP un Français de 33 ans d'origine marocaine, qui s'apprête à émigrer en Asie du sud-est avec sa femme enceinte, "pour vivre dans une société plus apaisée et où les communautés savent vivre ensemble".

Cet employé dans la tech veut fuir "la morosité ambiante" et les "humiliations" du quotidien liées à son patronyme et ses origines.

"On me demande encore aujourd’hui ce que je fais dans ma résidence", où il vit depuis plusieurs années. "Et c’est pareil pour ma mère quand elle me visite. Mais ma femme qui est blanche de peau n’a jamais eu cette question", raconte-t-il.

"Cette humiliation constante est d’autant plus frustrante que je contribue net à cette société en faisant partie des hauts revenus qui paient plein pot", s'insurge-t-il.

Paradoxalement, la société française est pourtant "plus ouverte qu'il y a vingt ans" et "le racisme recule", souligne le dernier rapport annuel de l'Observatoire des inégalités, notant que 60% des Français déclarent n'être "pas du tout racistes", soit deux fois plus qu'il y a 20 ans.

Et la part de ceux qui pensent qu’il y a des "races supérieures à d’autres" a été divisée par trois, de 14% à 5%.