STRASBOURG, France : Sur internet, ses cartes permettant de visualiser en un coup d'œil la progression de la Covid-19 sont désormais une référence, pour les médias comme pour le gouvernement : pour traquer le virus, Germain Forestier, chercheur en informatique à Mulhouse, met ses "compétences au service de la communauté".
Mars 2020. La première vague du Covid-19 frappe la France de plein fouet. A l'épicentre, Mulhouse, dans le Haut-Rhin. "Je regardais les nouvelles, le démarrage (de la pandémie) en Chine, l'arrivée du virus en Italie et puis son explosion" dans la cité alsacienne, se souvient ce professeur de 36 ans, enseignant-chercheur en informatique à l'École nationale supérieure d'ingénieurs Sud-Alsace (Ensisa).
Une "explosion" qui prendra vite pour lui des accents très quotidiens. D'abord parce que son épouse est médecin généraliste à Mulhouse. Ensuite, parce que le couple et leurs deux jeunes enfants habitent "juste à côté de l'hôpital : on entendait toute la journée les hélicoptères passer, il y a eu l'installation de l'hôpital de campagne..."
"Je me suis dit: quelles sont mes compétences, comment je peux aider dans cette pandémie?", confie le trentenaire mulhousien.
"Boule de neige"
La réponse s'imposera vite: sur Twitter, plusieurs cartes montrant l'état de la pandémie circulent, mais beaucoup restent artisanales. "En tant qu'informaticien, j'ai plus le réflexe d'écrire un programme qui va le faire pour moi que de le faire moi-même", explique le trentenaire, membre de cette communauté de geeks, souvent jeunes, dont les graphiques de suivi de l'épidémie, nourris par les données publiques, font florès sur le net.
"Je me suis rendu compte que Santé publique France (SpF) proposait également des données en +open data+ très faciles à récupérer", poursuit ce data scientist évidemment "à l'aise" pour "récupérer des données et les traiter" sous forme de graphiques.
Il écrit alors un programme ad hoc pour leur traitement et commence à poster des graphiques "entre mi mars et fin mars. J'ai senti qu'il y avait une forte demande pour des indicateurs locaux, les gens voulaient savoir ce qui se passait dans leur région".
Sur Twitter ses cartes suscitent vite des "commentaires", de médecins notamment, souvent "constructifs" et dans lesquels il n'hésite pas à puiser pour concevoir "de nouvelles visualisations".
Au fil des semaines, retweets et likes se multiplient sur Twitter et le nombre de ses followers explose, passant de "300, 400" en mars à 14.900 fin décembre.
Surtout, en septembre, Christian Drosten, célèbre virologue allemand et conseiller de la chancelière Angela Merkel, reprend dans un tweet l'une de ses heat maps, ces cartes de chaleurs qui montrent l'intensité d'un phénomène par des couleurs, sur la situation dans les Bouches-du-Rhône.
"Ça a fait boule de neige", constate le trentenaire : un peu plus tard, c'est au tour du ministre de la Santé, Olivier Véran, d'en utiliser une lui aussi dans un tweet.
Fin octobre, ses graphiques ont également été utilisés dans une note du Conseil scientifique, chargé de conseiller le gouvernement.
"Challenge intellectuel"
"J'ai une formation de scientifique mais je ne suis pas médecin ni virologue", tempère cet universitaire qui collabore au collectif de médecins "Du côté de la science". Impensable par exemple pour lui de "faire des prédictions" sur l'évolution de la pandémie : "je me garderais bien d'aller trop loin dans mes analyses, j'essaie de rester le plus objectif possible".
Des graphiques, Germain Forestier essaie d'en générer tous les jours, en variant angles et modes de visualisation. Actuellement, il en dénombre "plus de mille" sur son site.
Une production pléthorique, et très chronophage : "les données (de SpF) arrivent tous les soirs entre 19h00 et 20h00" et il faut "environ une heure pour générer de nouveaux graphiques classiques", détaille-t-il. Mais ponctuellement, lorsqu'il s'agit de réfléchir à de nouvelles présentations, "ça peut monter à cinq heures" de travail.
"Un challenge intellectuel intéressant", confie ce spécialiste de l'intelligence artificielle, qui dit ressentir une "certaine forme de plaisir (...) à manipuler les données".
"Après, il y a aussi le côté d'essayer d'être utile", nuance cet enseignant, plus que tout soucieux de mettre ses "compétences au service de la communauté".