BANGUI: Les Centrafricains votent dimanche pour élire un président et des députés mais une grande partie en seront empêchés dans un pays toujours en guerre civile et sous la menace d'une nouvelle offensive rebelle contre le régime du sortant et favori, Faustin Archange Touadéra.
Les groupes armés, qui contrôlaient déjà deux tiers du territoire et ont juré il y a neuf jours de « marcher sur Bangui » pour empêcher le scrutin, sont, pour l'heure, tenus à distance de la capitale de ce pays parmi les plus pauvres du monde. Grâce au renfort de centaines de paramilitaires russes, soldats rwandais et Casques bleus de la force de maintien de la paix de la Mission de l'ONU en Centrafrique (Minusca).
Nombre de bureaux à Bangui ont ouvert avec 50 minutes de retard, le matériel de vote n'étant pas arrivé à temps.
La capitale est calme mais de très nombreux Casques bleus et soldats centrafricains et rwandais patrouillent dans tous les quartiers et ont installé des blindés blancs de la Minusca surmontés de mitrailleuses devant les lieux de vote. Comme au lycée Boganda, dans l'est de Bangui, qui abrite cinq bureaux. Une trentaine d'électeurs patientaient devant l'établissement à l'ouverture.
« C'est très important pour moi d'être là en tant que citoyenne. Je pense que ce vote va changer notre pays, quel que soit le président », s'enthousiasme Hortense Reine, une enseignante.
La question de la légitimité des futurs élus --le président et 140 députés-- est déjà posée quand une partie importante de la population ne pourra pas voter, ou le faire librement et sereinement, en dehors de Bangui, selon les experts et l'opposition.
La tenue de ces élections présidentielle et législatives est donc un enjeu majeur pour le pays mais aussi la communauté internationale, qui tente de l'aider à se reconstruire et d'y maintenir une sécurité toute relative depuis 2014.
« Calfeutré chez moi »
A Bangui, le calme règne ces derniers jours mais la peur suinte dans certains quartiers. « Je pense que beaucoup de gens n'iront pas voter et moi-même j'hésite encore », lâchait samedi soir Bertrand, un commerçant.
A l'intérieur du pays, loin de la capitale encore, des combats sporadiques ont toujours lieu, compromettant la tenue du scrutin dans les provinces.
« Tout le monde est en train de fuir en ce moment, je suis calfeutré chez moi », témoignait samedi soir Robert, de Boali, à 80 km au nord de Bangui. « Comment voter quand nous n’avons même pas nos cartes d’électeurs ? », se lamentait-il au téléphone, la voix entrecoupée par des détonations pas si lointaines.
« Les élections vont mal se passer et la population se retrouve prise en otage de la situation actuelle, » estime Roland Marchal, du Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po à Paris.
Pour Thierry Vircoulon, de l'Institut français des relations internationales (Ifri), « les rebelles peuvent largement tenir plusieurs préfectures, ils n'ont pas besoin d'aller jusqu'à Bangui pour perturber les élections ».
Mais ces combattants, habitués en 2013 et 2014 à attaquer des civils abandonnés par une armée alors en déroute, font aujourd'hui face à une sérieuse opposition. En plus des habituels 11 500 Casques bleus, renforcés jeudi par 300 soldats rwandais, Moscou et Kigali ont volé il y a quelques jours au secours du pouvoir de Touadéra, qui accuse l'ancien président François Bozizé de mener une « tentative de coup d’Etat » à la tête de ces rebelles, ce qu'il dément.
Opposition dispersée
La Russie, soutenant ouvertement depuis 2018 le gouvernement Touadéra, a envoyé 300 « instructeurs militaires » --en fait des paramilitaires de société privées russes de sécurité-- en renfort de centaines de leurs pairs déployés depuis plus de deux ans. Et le Rwanda a dépêché des soldats d'élite hors Minusca, « des centaines » selon Bangui.
L'opposition s'avance en ordre dispersé, avec pas moins de 15 candidats, face à un Touadéra qui a, selon les experts et les diplomates, toutes les chances d'obtenir un second mandat.
Mais l'opposition accuse aussi le camp du chef de l'Etat de préparer des fraudes massives pour l'emporter dès le premier tour.
Des milliers de personnes ont été tuées et plus d'un quart des 4,9 millions de Centrafricains ont fui leur domicile depuis le début de la guerre civile, en 2013, quand une coalition à dominante musulmane, la Séléka, a renversé François Bozizé.
Les affrontements entre Séléka et milices chrétiennes et animistes anti-balaka ont ensuite fait rage, les deux camps étant accusés par l'ONU de crimes de guerre et contre l'humanité.
Depuis 2018, la guerre avait considérablement baissé d'intensité, les groupes armés se disputant le contrôle des ressources tout en perpétrant sporadiquement attaques et exactions contre les civils.