PARIS:Les abonnements payants ou "paywalls" pour éviter d'être ciblé par la publicité se multiplient sur les médias et les réseaux sociaux, et sont au cœur d'une bataille juridique.
A quoi doit-on l'essor des «paywalls» ?
Longtemps, les éditeurs de contenu gratuit sur internet se sont rémunérés grâce à la publicité ciblée.
Les deux géants du web Google et Facebook, qui en ont fait leur modèle économique mais également des sites de médias et une multitude de services en ligne, ne faisaient rien payer, mais enregistraient discrètement un maximum de données personnelles lors de chaque visite, de façon à dresser un profil précis de leurs visiteurs.
Ces profils étaient ensuite vendus aux enchères à des marques, permettant à celles-ci d'afficher des publicités orientées sur les centres d'intérêts des consommateurs.
La publicité comportementale est vendue bien plus chère aux annonceurs que la publicité non ciblée, dans des proportions variables selon les plateformes et les types de profils.
En 2018, l'entrée en vigueur du RGPD dans l'Union européenne (UE) est venue bousculer cette économie en plein essor, en instaurant l'obligation de recueillir au préalable le consentement libre de l'utilisateur (hors disposition contractuelle ou "intérêt légitime").
Cinq ans plus tard, les bandeaux "cookies" sont devenus la norme et permettent de refuser, moyennant quelques clics, le pistage publicitaire. Des études montrent que lorsqu'ils sont interrogés, les internautes préfèrent largement refuser de partager leurs données.
Mais pour Meta, maison-mère de Facebook et Instagram, pour de nombreux journaux déjà affectés par la baisse des revenus publicitaires sur le papier, et pour de nouvelles applications comme TikTok, il y a trop à perdre à laisser les internautes refuser gratuitement la publicité ciblée. D'où l'idée d'un abonnement payant.
Qui les utilise ?
Meta, qui propose depuis novembre son abonnement sur Facebook et Instagram, est la première grande plateforme sociale à avoir choisi cette formule. Le groupe est aujourd'hui visé par plusieurs plaintes en Autriche, à Bruxelles et fait l'objet d'un signalement en France à la DGCCRF.
X ou YouTube (Google) adoptent des approches différentes en offrant des fonctionnalités payantes supplémentaires ou en permettant de refuser gratuitement le ciblage. Tiktok n'a encore confirmé que le test d'un abonnement en Europe.
"Si Meta s'en sort, ses concurrents ne tarderont pas à lui emboîter le pas", craint le juriste autrichien Max Schrems, surnommé "la bête noire des Gafa".
Selon une étude parue le 26 novembre, 431 sites utilisent un "paywall". 27% sont des médias, qui avaient largement pris les devants, mais la pratique se généralise. 317 sites sont en Allemagne, où les internautes peuvent acquérir un "contentpass" à 3 euros/ mois pour l'ensemble des sites, 42 en France, 27 en Italie et 22 en Autriche.
Pour Nicolas Rieul, président de l'IAB France qui regroupe les acteurs de la publicité numérique, la proposition d'un abonnement "est une bonne chose car cela valorise la publicité, qui permet de rémunérer les producteurs de contenus et les services en ligne", a-t-il déclaré jeudi à l'AFP lors du Forum de l'Alliance Digitale à Paris.
Le système toutefois "ne s'applique pas à tout le monde", notamment dans le secteur du commerce en ligne où les boutiques ont tout intérêt à ne pas empêcher leur libre consultation.
Est-ce une pratique légale ?
Interrogé jeudi par l'AFP, le président de Meta en France et en Europe du Sud, Laurent Solly, n'a pas souhaité commenter les plaintes contre le niveau jugé excessif de l'abonnement sur sa plateforme (à partir de 9,99 euros par mois).
"La possibilité pour les gens d'acheter un abonnement sans publicité équilibre les exigences des régulateurs européens tout en donnant le choix aux utilisateurs", avait fait valoir le géant des réseaux sociaux fin octobre.
Faute d'harmonisation au niveau européen, la position sur les "cookies walls" varie selon les Etats membres, entre interdiction en Belgique et autorisation sous strictes conditions (Allemagne, Italie).
En France, la Cnil, qui souhaitait initialement interdire les "cookies walls", avait dû adopter une position plus nuancée notamment pour les médias à la suite d'une décision du Conseil d'Etat en 2020. "Il n'appartient pas aux autorités de protection des données de fixer le prix d’un service, elles peuvent en revanche en contrôler la pertinence lorsque que ce prix est l'alternative au ciblage publicitaire", indique-t-elle à l'AFP.
L'autorité irlandaise, chargée de réguler Meta pour le compte de l'UE, a pour sa part indiqué que l'abonnement litigieux était "en cours d'évaluation".