WASHINGTON : «Choquantes», «ignobles», «déshonorantes»: les grâces accordées par Donald Trump à d'ex-mercenaires condamnés pour les meurtres d'Irakiens en 2007 et à des personnalités mises en cause dans l'enquête russe ont provoqué l'indignation, à Washington comme à Bagdad.
Le président américain a annoncé mardi soir une quinzaine de grâces et cinq autres mesures de clémence, qui bénéficient notamment à quatre ex-agents de la sulfureuse société de sécurité privée Blackwater, reconnus coupables du meurtre de 14 civils irakiens en 2007 à Bagdad.
L'un de ces gardes de sécurité, Nicholas Slatten, a été condamné à une peine de prison à vie, les trois autres à des peines de 12 à 15 ans.
Ils avaient été reconnus coupables d'avoir ouvert le feu à la mitrailleuse et jeté des grenades sur un carrefour très fréquenté de Bagdad, alors qu'ils circulaient en véhicules blindés, un carnage qui avait suscité une indignation mondiale.
La fusillade avait fait 17 morts selon les autorités irakiennes mais l'implication des mercenaires n'avait été établie que pour 14 cas, dont des femmes et des enfants.
A Bagdad, l'officier de police irakien qui a mené les enquêtes sur la fusillade a exprimé son indignation. «Je m'en souviens comme si c'était hier», a déclaré à l'AFP Fares Saadi. «Je savais que nous ne verrions pas la justice».
La Maison Blanche a affirmé que les quatre hommes, tous anciens militaires, avaient «un long passé de service à la nation», mais Donald Trump a été accusé de recourir une fois de plus de façon abusive au droit de grâce.
«Je sais que rien de ce qu'il fait ne me surprend plus, mais quel abus de pouvoir choquant, partisan et répugnant!», a tweeté le sénateur démocrate Chris Van Hollen.
«Tout ceci me donne envie de vomir», a jugé l'ancienne sénatrice démocrate Claire McCaskill, qui siégeait à la commission des Forces armées de la Chambre haute. «Cette grâce déshonore notre armée de façon indicible».
- Loyauté avant tout -
Pour Mark Hertling, un ancien général ayant combattu en Irak, «la grâce accordée aux employés de Blackwater est l'acte de Donald Trump le plus scandaleux et le plus ignoble». «C'était un crime de guerre lâche qui a causé la mort de 17 civils. Honte à vous, M. le président!», a-t-il tweeté.
La société Blackwater, qui a depuis disparu, avait été fondée par l'un des plus farouches partisans de Donald Trump, Eric Prince, qui est aussi le frère de la ministre de l'Education Betsy DeVos.
«Trump place la loyauté au-dessus de tout le reste: au-dessus de l'Etat de droit, au-dessus de notre démocratie, et certainement au-dessus de la justice», s'est insurgé Adam Schiff, président de la commission du renseignement de la Chambre des représentants.
Le président américain a aussi gracié deux de ses alliés mis en cause dans l'enquête du procureur spécial Robert Mueller sur une possible collusion entre la Russie et son équipe de campagne en 2016: un ancien conseiller diplomatique, George Papadopoulos, et un avocat néerlandais, Alex van der Zwaan.
Fin novembre, Donald Trump avait déjà gracie Michael Flynn, son ancien conseiller à la sécurité nationale, également mis en cause dans la même affaire.
D'autres grâces ont été accordées à trois élus républicains condamnés pour corruption, Duncan Hunter, Chris Collins et Steve Stockman.
Pour le groupe anticorruption Citizens for Responsibility and Ethics in Washington (CREW), «le message de Trump est clair: la justice ne s'applique pas à vous si vous lui êtes loyal».
Selon une analyse d'un professeur de droit de Harvard, Jack Goldsmith, au moins 42 des 65 grâces accordées à ce jour par Donald Trump ont été décidées à des fins politiques, et cinq seulement ont été recommandées par les conseillers juridiques de la Maison Blanche.
Donald Trump envisagerait également, selon la presse américaine, d'accorder une grâce préventive à ses enfants, à son gendre Jared Kushner et à son avocat personnel Rudy Giuliani, avant de quitter la Maison Blanche en janvier.
Le milliardaire aurait aussi évoqué l’éventualité de se gracier lui-même de crimes pour lesquels il pourrait être poursuivi en relation avec son mandat. En 2018, il avait affirmé avoir «le droit absolu» de prendre cette mesure, qui serait un précédent.