KAFR QASIM: A Kafr Qasim, le silence règne, les rues sont désertées. Et les rares habitants visibles n'ont qu'un mot à la bouche: "la peur". Comme à chaque guerre entre Palestiniens et Israéliens, les Arabes israéliens sont pris entre deux feux.
"On a très très peur et on est très très inquiets car des choses qu'on n'imagine même pas pourraient arriver", assure à l'AFP Ahlam, 38 ans, qui témoigne sous pseudonyme.
Tout le monde à Kafr Qasim est Arabe israélien, descendant des Palestiniens restés sur leur terre à la création d'Israël et détenteurs de la nationalité israélienne.
"On est pris entre le marteau et l'enclume, on n'est protégés d'aucun côté, ni des roquettes palestiniennes ni d'Israël qui ne nous traite pas comme de vrais citoyens et ne nous respecte pas", poursuit Ahlam.
Dans cette ville de 26.000 âmes, à 20 kilomètres à l'est de Tel-Aviv, peu de magasins sont ouverts. Les familles sont à la maison, le regard vissé sur les images qui passent en boucle à la télévision de la guerre qui a éclaté samedi entre le Hamas palestinien, au pouvoir dans la bande de Gaza, et Israël.
«Comment m'identifier?»
Samedi, dans une offensive qui a surpris l'armée et le renseignement israéliens, le mouvement islamiste Hamas a tué plus de 1.200 Israéliens et étrangers, parfois dans leur maison. En rétorsion, Israël pilonne depuis Gaza, où déjà plus de 1.300 Palestiniens ont été tués.
Ahlam est travailleuse sociale et veut aider sa communauté. Mais, dit-elle, "quand je quitte la maison, je m'inquiète pour mes enfants".
"On vit dans un Etat auquel on est liés par tout: l'éducation, la santé, le travail. Mais les Palestiniens sont notre peuple", résume-t-elle.
"Je ne sais pas comment m'identifier: un Juif peut s'exprimer comme il veut, moi, si je le fais, j'aurai une grosse campagne de harcèlement et les gens déformeront mes propos", assure-t-elle.
Wissam Ali, chauffeur de bus de 54 ans, n'a lui pas oublié les tristes souvenirs d'octobre 2000.
Les Territoires palestiniens occupés --la Cisjordanie et la bande de Gaza-- mais aussi Israël et Jérusalem étaient alors à feu et à sang, la seconde Intifada battant son plein. Et les Arabes israéliens avaient décidé de manifester en soutien aux Palestiniens.
Treize d'entre eux ont été tués et les relations entre l'Etat et ses citoyens arabes - 21% de la population d'Israël - ont radicalement changé.
"L'Etat s'est retourné contre nous à l'époque, alors aujourd'hui, on ne veut plus se mêler de tout ça, on veut la paix pour tout le monde, on espère que ni les Arabes ni les Juifs ne souffriront", dit-il à l'AFP.
«Personne n'est venu»
L'histoire douloureuse de Kafr Qasim remonte bien plus loin encore.
La ville est tristement célèbre pour le "massacre de Kafr Qasim", lorsqu'en 1956, aux premières heures de la crise du Canal de Suez, des garde-frontières israéliens y ont abattu 49 civils.
Ils ont été reconnus coupables et condamnés mais la cicatrice est encore à vif.
Pour autant, après les tueries lancées samedi, sa municipalité a annoncé sur les réseaux sociaux et dans les médias que ses habitants accueilleraient, le temps de la guerre, des habitants, Arabes et Juifs, du sud d'Israël fuyant les tirs de roquettes du Hamas.
Saëd Issa a monté une équipe de secouristes au cas où ces bombardements toucheraient Kafr Qasim.
"On fait ça pour pouvoir aider les gens", dit-il à l'AFP, car "nous, les Arabes d'Israël, on vit à la marge pour l'Etat et on est toujours victimes d'incitations à la haine".
"Dès le premier jour" de guerre, poursuit-il, "on a appelé les gens du Sud, Juifs et Arabes, à venir chez nous, on a préparé nos maisons pour eux, sans distinction de religion, mais personne n'est venu".
D'abord, dit-il, parce que "l'Etat a prévu des chambres d'hôtel pour les déplacés juifs".
Et peut-être aussi parce que "dans la plupart des villes et villages arabes, il n'y a pas d'abris antiaériens, contrairement aux autres villes".
Malgré tout, "il y a eu beaucoup de réactions positives" et seuls "quelques extrémistes de droite ont mal réagi", se félicite-t-il.