PARIS : Vous dites "le" ou "la Covid-19" ? Le mot de l'année, un nom mutant de maladie adoubé par des fonctionnaires internationaux, n'arrive pas à se décider en français entre masculin et féminin.
"Nous linguistes, on attend en bons darwiniens que des deux formes l'une l'emporte sur l'autre", affirme Yannick Chevalier, maître de conférences à l'université Lumière de Lyon.
L'Histoire retiendra que le terme, qui désigne l'affection provoquée par le virus SARS-CoV-2, est né au monde le 11 février 2020, dans un communiqué de l'Organisation mondiale de la santé. Cette maladie avait été découverte depuis plus d'un mois, à Wuhan (Chine), sans avoir d'appellation officielle partagée par tous.
"Le mot est constitué par le Comité international de taxonomie des virus, dont c'est le rôle de déterminer ces noms. Mais celui de Covid-19 est véritablement consacré par l'OMS", explique à l'AFP la linguiste Delphine Jouenne, qui a créé une agence de marketing.
Covid vient de l'anglais "COronaVIrus Disease" (maladie à coronavirus), le "19" précisant que la maladie est apparue en 2019. Et l'OMS, tout de suite, écrit "la COVID-19", au féminin, tout en majuscules.
C'est donc un acronyme étranger, conçu pour servir dans le plus de langues possible, et que le français n'adopte pas sans accroc. Sa typographie fluctue, entre "COVID" et "Covid". Son genre aussi va vite devenir incertain.
"Diktat" de l'Académie
Comme la grande majorité des mots importés qui ne sont pas clairement masculins ou féminins (bermuda, camping, goulag, karma, sauna, sushi, etc.), il est d'abord masculin dans le langage courant: "le Covid-19". En France du moins.
Le 6 mars, l'Office québécois de la langue française tranche en faveur du féminin. Tout comme le gouvernement fédéral canadien ensuite. "La désignation COVID-19 est de genre féminin, étant donné que le 'D' de 'COVID' désigne le mot de base 'disease' ('maladie' en français)", lit-on dans sa banque de données terminologiques.
L'Académie française met longtemps à intervenir, pour tenter de rectifier ce masculin qui s'est solidement implanté. Le 7 mai, elle met en ligne un article qui recommande de "dire la covid 19" (curieusement sans trait d'union ni majuscule), "puisque le noyau est un équivalent du nom français féminin maladie".
"Ce diktat a eu quelques effets. Il a fait rire dans un premier temps, et puis à la rentrée de septembre, moment où les médias réfléchissent à leurs pratiques rédactionnelles, des journalistes ont suivi: la Covid", selon Yannick Chevalier.
Flottement en francophonie
Dans les autres pays francophones, dont la Belgique, la Suisse ou les pays africains, qui n'ont pas d'institution de normalisation du français, on observe un flottement.
Le Temps, journal de Lausanne, constatait mi-mai: "L'Académie française s'appuie sur l'exemple québécois pour plaider en faveur de 'la' Covid-19. Problème, en Europe francophone, l'usage 'du' Covid s'est imposé". Chez les institutions confédérales comme cantonales suisses, le masculin prime encore aujourd'hui.
En Belgique, pays d'une forte complexité administrative, certaines administrations préfèrent le féminin, comme le Service public fédéral de santé publique, d'autres le masculin, comme le ministère des Affaires étrangères.
La majorité des gouvernements en Afrique, dont la Côte d'Ivoire, le Sénégal ou les deux Congo, disent "le Covid". Mais celui du Mali "la Covid". Sur le site internet du gouvernement en Tunisie, les deux cohabitent.
Le Canada se distingue comme le seul pays où le féminin domine quasi exclusivement.
Chez une même personne, on peut trouver les deux, comme chez Delphine Jouenne, qui publie "Un bien grand mot", sur les "mots de l'année".
"Dans le livre j'ai dû mettre la Covid, parce qu'on peut difficilement faire un ouvrage sur la langue française en ignorant la norme de l'Académie. Mais je vous avoue qu'à l'oral je dis le Covid. Je suis l'usage, et tous les linguistes vous le diront: l'usage fait loi", raconte-t-elle.
Et d'après son confrère Yannick Chevalier, ce masculin a des chances de l'emporter en France. "Pour moi ça va être le Covid, parce que c'est comme ça que c'est arrivé. Le mot renvoie à une expérience traumatique, et quand un mot est chargé d'investissements affectifs aussi forts, on peut difficilement le changer".