MARBELLA: Le légendaire chanteur algérien Rachid Taha – alias «le roi du rock et du raï» et «La voix rebelle d'une génération» – est décédé il y a cinq ans cette semaine. Connu à la fois pour son apparence naturellement décontractée – boucles noires, fedora, cigarettes – et pour sa voix rauque, Taha a atteint le sommet de sa popularité dans les années 1990, grâce à son tube arabe intemporel Ya Rayah et sa célèbre interprétation d’Abdel Kader aux côtés de Cheb Khaled.
L'un des collaborateurs de longue date de Taha était le guitariste et producteur anglais Steve Hillage, qui a rencontré Taha pour la première fois en 1982. À cette époque, Taha – qui avait émigré avec sa famille en France à la fin des années 1960 – était au cœur du groupe de rock franco-arabe Carte de séjour. Hillage a reçu un appel demandant s'il produirait leur premier disque.
Steve Hillage s'est rendu à Lyon où se trouvait le groupe. «Ils m’ont emmené à un petit spectacle qu'ils présentaient, et je suis entré dans la loge où était Rachid», a raconté Hillage à Arab News. «Il jouait de la musique chaabi très intéressante, sur une cassette, et il m’a dit: "Bonjour Steve! Écoutez ça! C’est du pur blues". C’est la première chose dont nous avons discuté. Nous sommes devenus de grands amis à partir de ce moment-là.»
L’un des morceaux les plus populaires du groupe était une version remodelée de la chanson pleine de patriotisme de 1943 Douce France, sortie à une époque où les sentiments antiarabes étaient en hausse dans la France des années 1980.
«C’était assez paradoxal d’entendre ce garçon algérien à l’apparence rude chanter "Douce France, cher pays de mon enfance". C’était une déclaration tout à fait politique», fait remarquer Hillage. «En fait, certains hommes politiques français contribuaient à sa promotion. Ils en distribuaient des copies au Parlement français.»
Carte de séjour se sépare en 1990, et Taha poursuit une carrière en solo extrêmement réussie. Sa musique était un mélange fascinant de musique rock, punk, funk, blues et chaabi.
«Je pense qu'il voulait en fin de compte dire que toutes nos cultures sont liées – qu’il n'y a pas de barrières», explique Hillage. «C’était un penseur très indépendant. Il n’avait pas de ligne politique. Il aimait bien créer la polémique. Il a eu beaucoup de problèmes dans le monde arabe. Les gens disaient: "Il ne sait pas vraiment chanter. Comment ose-t-il reprendre les chansons de Farid al-Atrash (chanteur syro-égyptien emblématique)? C’est une insulte."»
«Mais Bob Dylan avait le même problème. Les gens disaient qu’il ne savait pas chanter, alors qu’il avait quelque chose de vraiment engageant et puissant dans la façon dont il exprimait sa voix, et Rachid était pareil», poursuit Hillage. «Il n’était pas forcément reconnu par les Français comme l’un des grands chanteurs de rock de France, mais je vous le dis, c’était l’un des grands chanteurs de rock français, si ce n’est le plus grand. D’une certaine manière, il était trop rock pour les Arabes et trop Arabe pour les Français. Cela a changé avec le temps. Le talent de Taha est désormais célébré dans le monde arabe et en Europe. En octobre, un spectacle en hommage à la musique de Taha aura lieu en France, et plus spécifiquement en Alsace.»
Souvent décrit comme un activiste, Taha n’hésitait pas à écrire des paroles provocatrices sur l’oppression politique. L’un des exemples frappants est sa chanson de 2000 Barra Barra («Dehors dehors»), sur laquelle Hillage jouait de la guitare, et dans laquelle Taha chantait «la ruine et la guerre» et le sang qui coule tandis que «les gens gardent le silence».
Les années 90 furent toutefois le véritable âge d’or de Taha. Sa chanson phare Ya Rayah («Ô voyageur») – inspirée d’une chanson sur les immigrants du regretté chanteur algérien Dahmane el-Harrachi – est sortie en 1993 avec une note plus fraîche, touchant les communautés arabes du monde entier.
Selon Hillage, étonnamment, elle n’a quasiment pas été retenue. «La maison de disques ne l’a pas aimée, trouvant que c'était trop maghrébin et pas assez pop», indique-t-il. Mais la chanson était chantée dans les restaurants et les clubs, et on en parlait beaucoup. Elle a été rééditée en 1997.
L’autre évènement marquant pour Taha a été son concert live (plus tard sorti sous forme de disque), 1, 2, 3 Soleils en 1998 avec d'autres chanteurs algériens et maîtres du raï, Cheb Khaled et Faudel, dans l'une des plus grandes salles de Paris, à Bercy. Ce fut un énorme succès, qui constitue un événement marquant dans l’histoire de la musique française. Hillage, directeur musical du concert, a affirmé: «Ce furent les deux heures les plus extraordinaires de ma vie.»
La dernière fois que Hillage a vu Taha, c'était tout juste dix jours avant sa mort, alors que celui-ci était âgé de 59 ans, le 12 septembre 2018. Tous deux discutaient avec enthousiasme de l'organisation d'un spectacle à Lyon.
«Il a été arraché tout d’un coup. Quand il est mort, j'ai perdu un très bon ami», confie Hillage. «Il me manque toujours.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com