PARIS: Emmanuel Macron superministre de l'Education ? Des programmes aux rythmes scolaires, le chef de l'Etat multiplie les annonces et les déplacements sur l'école au risque d'éclipser son ministre et de braquer la communauté éducative.
A la veille de la rentrée, le chef de l'Etat en a même fait son "domaine réservé", tout comme les Affaires étrangères et la Défense, fidèle à une lecture très gaullienne des institutions de la Ve République.
Vendredi, il était de nouveau en première ligne, cette fois sur le front du lycée professionnel, le parent pauvre dont il promet de faire une "filière d'excellence", à l'occasion d'un déplacement dans le Vaucluse.
Fin juin, il suggérait depuis Marseille la fermeture plus tardive des collèges dans les quartiers sensibles pour lutter contre la délinquance.
Le 23 août, il proclamait la rentrée scolaire anticipée pour les élèves en difficulté, la refonte des programmes d'histoire et un nouveau calendrier du bac.
"Pourquoi je parle autant de l’école ? Parce que c’est le coeur de la bataille que l’on doit mener, parce que c’est à partir de là que nous rebâtirons la France", martèle-t-il après les violences urbaines qui ont secoué le pays fin juin.
Entre-temps, Gabriel Attal, étoile montante de la Macronie, a succédé à la tête du ministère au discret Pap Ndiaye, jugé trop peu politique pour un sujet aussi prioritaire.
Mais le président reste tout aussi omniprésent même si le nouveau ministre, un proche de la première heure, a frappé fort dès son arrivée en déclarant la guerre à l'abaya.
«Temps long»
"On a une véritable dérive, un président de la République qui écrase (tout) et qui prend la place du gouvernement", déplore Gilles Langlois, secrétaire national du SE-Unsa.
Emmanuel Macron, formé chez les jésuites de La Providence à Amiens, entend aussi refonder les programmes scolaires d'histoire et d'instruction civique, avec un enseignement plus "chronologique" et la lecture chaque semaine d'un "grand texte fondamental sur nos valeurs".
Autant d'énoncés qui passent mal. "On ne demanderait pas à un président de dire à un chirurgien comment il doit opérer une appendicite", s'emporte Guislaine David, à la tête de la FSU-Snuipp, premier syndicat pour la maternelle et l'élémentaire.
"L'école vit au rythme politique alors que l'éducation a besoin d'un temps long" et "de sérénité", regrette-t-elle.
A l'Elysée, on relève à l'inverse que l'Education est un domaine dans lequel les Français "attendent beaucoup", ce qui justifie d'autant plus l'investissement présidentiel.
"Mais le chef de l'Etat n'est pas un superministre de l'Education de la même façon que, depuis 70 ans, les ministres des Affaires étrangères et des Armées ne sont pas des sous- ministres", balaie une conseillère.
Certains de ses précédecesseurs ont aussi été très présents sur l'école, du général de Gaulle à Valéry Giscard d'Estaing, véritable artisan du collège unique.
«Au débotté»
Au lendemain de son élection, Nicolas Sarkozy s'était quant à lui fendu d'une longue lettre aux parents et enseignants pour exposer sa vision de l'école.
"La nouveauté, c'est qu'Emmanuel Macron revendique haut et fort ce domaine réservé et n'arrête pas de faire des annonces au débotté", fait observer Claude Lelièvre, historien de l'éducation.
Privé de majorité absolue depuis sa réélection, "il veut occcuper le terrain de la parole, montrer qu'il est toujours à l'initiative", estime-t-il.
Gabriel Attal, rompu à la communication, est a priori un atout. "Mais il ne faut pas qu'il le soit trop non plus car Emmanuel Macron existe aussi à travers le magistère de la parole", note l'historien.
Le président, qui connaît intimement le sujet, n'avait même pas de conseiller éducation au début de son premier quinquennat, relève Claude Lelièvre.
Mais son entourage le jure, Brigitte Macron, elle-même enseignante, n'est ni sa conseillère, ni le ministre bis de l'Education que certains croient voir en elle. Quand bien même elle a porté publiquement certaines positions tranchées, comme le retour de l'uniforme à l'école ("avec une tenue simple et pas tristoune") ou l'interdiction du portable y compris au lycée.
"On a fantasmé son rôle. Jamais elle n’est intervenue ou n'a été consultée", assure-t-on dans l'entourage de l'ex-ministre Pap Ndiaye.
La situation des lycées professionnels «est inacceptable», estime Macron
Emmanuel Macron a estimé vendredi que la situation des lycées professionnels était «inacceptable», mais qu'il n’y avait «aucune fatalité» à «garder le même nombre de décrocheurs», lors d'une visite dans un lycée professionnel d'Orange (Vaucluse) pour la pré-rentrée des enseignants.
«La situation est inacceptable, parce que c'est celle au fond de l'assignation à résidence que je dénonçais il y a six ans, de beaucoup d'injustice et de déterminismes familiaux», a affirmé le chef de l'Etat.
«On sait bien qu'on a beaucoup de nos jeunes qui sont orientés en lycée pro, pas toujours par choix, mais parce qu'ils n'ont en fait pas réussi au collège et que ce sont les fruits d'un décrochage qui a commencé avant», a-t-il ajouté, devant des enseignants du lycée de l'Argensol et des chefs d'entreprises locales qui embauchent des jeunes issus de ce lycée.
«On n'avait pas touché depuis des décennies à cette filière. Et je pense que d'ailleurs si elle touchait beaucoup plus d'enfants de responsables politiques, médiatiques ou autres, on l'aurait fait bien plus tôt», a-t-il lancé.
Le président avait présenté en mai la réforme du lycée professionnel à Saintes (Charente-Maritime), l'une de ses promesses de campagne en 2022. L'objectif est de renforcer l'attrait pour ces filières, en donnant accès à des formations plus qualifiantes, d'améliorer l'insertion professionnelle des jeunes et de lutter contre le décrochage scolaire.
Elle prévoit notamment la création de nouveaux dispositifs contre le décrochage et pour l'insertion des jeunes, la création de «bureaux des entreprises» dans les lycées ou la rémunération des lycéens pendant leur stages.
Soulignant qu'«on a encore beaucoup de nos filières qui soit ne mènent pas à un diplôme, soit ne mènent pas un emploi», avec en moyenne «40% de nos jeunes qui auront un emploi dans les six mois qui suivront leur diplôme» de niveau bac, le chef de l'Etat a affirmé qu'en cette rentrée, «il y a un engagement inédit de la nation pour les filières, les élèves que vous servez».
«Il n'y aucune fatalité à se dire qu'en lycée professionnel, on devrait garder le même nombre de décrocheurs», a-t-il poursuivi.
Un tiers des lycéens, soit environ 621.000 élèves, sont scolarisés en lycée professionnel.