WASHINGTON: La photo d'identité judiciaire de Donald Trump, la première d'un ancien président américain, est a priori source d'humiliation. Mais le milliardaire, champion en communication politique, l'a déjà transformée en arme marketing redoutable pour la présidentielle de 2024.
Tête légèrement penchée vers l'avant, regard très dur, voire agressif, en signe de défiance: le "mug shot" du 45e président des Etats-Unis, immortalisé pour l'Histoire par les services du shérif d'Atlanta, fait le tour du monde depuis jeudi soir.
Le tabloïd New York Post, propriété du magnat conservateur Rupert Murdoch, en a fait sa Une vendredi, la photo occupant une pleine page. Sans titre.
Au contraire, le New York Times, journal classé à gauche aux Etats-Unis, a réduit la photo à la taille d'un médaillon pour illustrer un article également à la Une mais qui la partage avec la mort présumée du chef du groupe russe Wagner, Evguéni Prigojine.
Dès le cliché judiciaire rendu public jeudi, les partisans de Donald Trump -- homme d'affaires, ancien animateur de télévision et tribun hors pair rêvant de revenir à la Maison Blanche -- en ont fait un outil de marketing et de communication politiques.
«Héros» persécuté
Une tactique politique visant à présenter une nouvelle fois l'ancien président républicain (2017-2021) en "héros" victime d'une persécution, d'une "chasse aux sorcières" orchestrées par les démocrates de Joe Biden.
L'actuel président se garde bien de commenter les déboires judiciaires de son prédécesseur à la Maison Blanche. Mais, vendredi, à une journaliste qui lui demandait s'il avait vu la fameuse photo, M. Biden a répondu en souriant: "Je l'ai vue à la télévision. Un beau gars".
La justice américaine a inculpé Donald Trump en quelques mois dans quatre dossiers différents.
Dans un message diffusé vendredi, l'équipe de campagne "Trump 2024" s'adresse au "patriote" américain.
"L'Etat de l'ombre tente de faire du président Trump l'ennemi public numéro 1 pour oser défier la classe dirigeante corrompue de Washington", est-il écrit en dénonçant un "mug shot officiel qui le présente comme un criminel aux yeux du monde entier."
Mais "le président Trump ne renoncera jamais à notre mission de rendre sa grandeur à l'Amérique", martèlent ses partisans en lettres majuscules, réclamant 47 dollars de contribution pour une nouvelle levée de fonds du candidat républicain, largement en tête des sondages en vue des primaires de son parti en 2024.
En échange, chacun se voit offrir un tee-shirt blanc imprimé avec la photo d'identité sous laquelle s'affiche le slogan "NEVER SURRENDER!" ("NE VOUS RENDEZ JAMAIS!") en majuscules noires.
De retour sur X
La photo marque aussi le retour de Donald Trump sur Twitter, rebaptisé X par le milliardaire Elon Musk qui l'a racheté.
Sa dernière publication sur cette plateforme, autrefois son canal de communication favori, remontait au 8 janvier 2021. Il en avait été banni après l'attaque du 6 janvier 2021 contre le Congrès du Capitole de Washington menée par ses partisans.
Cette interdiction avait depuis été levée.
Aussitôt les plus fervents soutiens de Donald Trump ont relancé la machine de communication.
L'un de ses fils, Donald Jr., a republié le "mug shot" de son père, accompagné d'un message menaçant : "Eh, l'Etat de l'ombre - il arrive pour vous chercher. Rendez-vous le 20 janvier 2025", date de la prise de fonction du président des Etats-Unis qui sera élu le 5 novembre 2024.
Et pour l'élue républicaine de Géorgie à la Chambre des représentants Marjorie Taylor Greene, adepte de théories complotistes et d'extrême droite, cette photo de "notre président (...) est celle qui fera gagner l'élection présidentielle de 2024".
Le «regard Kubrick»
Le cliché de la justice est aussi détourné par les réseaux sociaux dans des montages et des mèmes humoristiques, favorables ou hostiles.
Des cinéphiles voient par exemple dans le visage menaçant de Donald Trump un clin d'oeil au fameux "regard Kubrick" ("Kubrick Stare") du nom du réalisateur britannique Stanley Kubrick: le personnage fixe la caméra en inclinant sa tête vers l'avant, avec une expression qui peut impressionner et faire peur au spectateur, à l'instar de Malcom McDowell dans "Orange Mécanique".
Pour Daniel Binns, patron britannique de l'agence new-yorkaise de marketing politique Interbrand, l'utilisation et le détournement du "mug shot" en font un produit dérivé "extrêmement puissant" de la "marque" Trump.
L'ancien magnat a une forme de "génie en marketing" politique, selon l'expert.
Donald Trump "peut se servir de tout ce qui est dit, de tout ce dont on l'accuse et en faire quelque chose qui colle avec le récit qu'il veut raconter".