PARIS: Déjà scrutés de près par le gouvernement, les investissements étrangers dans certaines entreprises françaises stratégiques seront bientôt soumis à un contrôle renforcé, a annoncé jeudi le ministre de l'Economie Bruno Le Maire. Le point sur le dispositif de contrôle existant et les nouveautés attendues.
Contrôle sélectif
Tous les investissements ne sont pas décortiqués par le gouvernement, qui vante d'ailleurs régulièrement l'attractivité de la France auprès des investisseurs étrangers.
Sont ainsi contrôlés uniquement les investissements qui permettent à un acteur non européen d'acquérir 10% ou plus des droits de vote d'une société française cotée (ou 25% des droits de vote d'une société non cotée) opérant dans un secteur stratégique.
Ces secteurs d'activité stratégiques sont énumérés dans le Code monétaire et financier et dans un arrêté de 2019. Il s'agit par exemple de la défense, de la cybersécurité, des semi-conducteurs ou de l'intelligence artificielle.
En 2022, 325 investissements étrangers ont ainsi été contrôlés par la France, selon la Direction générale du Trésor. Parmi ces opérations, 194 ont été interdites, 70 autorisées sous conditions et 61 validées sans restriction.
En 2017, seuls 137 dossiers avaient été examinés par le Trésor, selon Bruno Le Maire.
Initialement fixé à 25% pour les entreprises cotées, le seuil de déclenchement du contrôle des investissements non européens avait été abaissé à 10% en 2020 lors de l'irruption de la Covid-19. Cet abaissement devait initialement être temporaire, mais Bruno Le Maire a finalement annoncé le pérenniser en janvier 2023.
Les investissements européens dans les sociétés ne font l'objet d'un contrôle par le Trésor qu'à partir du moment où ils permettent d'acquérir au moins 25% des droits de vote.
Nouveaux secteurs et succursales
En déplacement en Haute-Savoie pour sa rentrée politique, le ministre de l'Economie a annoncé jeudi l'extension prochaine du contrôle des investissements étrangers à de nouveaux pans de l'économie.
"Nous élargirons les secteurs éligibles aux contrôles notamment aux activités d’extraction et de transformation des matières premières critiques, car ces secteurs sont devenus décisifs pour la souveraineté du pays et pour notre secteur industriel", a affirmé Bruno Le Maire.
S'il n'a pas précisé la nature des matières premières "critiques" appelées à être concernées par l'élargissement des contrôles, le ministre a illustré son propos en rappelant la récente décision de la Chine de restreindre les exportations de gallium et de germanium, deux composants "indispensables" pour la production des semi-conducteurs, que s'arrachent l'industrie automobile ou les fabricants de smartphones.
Autre nouveauté, le contrôle des investissements sera étendu "aux succursales françaises d’entreprises étrangères", a assuré Bruno Le Maire.
Les changements annoncés jeudi entreront en vigueur "d'ici la fin de l'année" selon le ministère de l'Economie, qui étudie par ailleurs un éventuel nouvel élargissement des secteurs économiques concernés par le contrôle des investissements étrangers.
Tendance européenne
La France n'est pas la seule à renforcer ses mécanismes de contrôle des investissements étrangers.
Depuis octobre 2020, le filtrage des investissements étrangers dans les entreprises de l'Union européenne (UE) est en effet encadré par un règlement européen.
Selon un rapport de la Commission européenne, en juin 2022, 25 des 27 Etats membres de l'UE disposaient déjà d'un dispositif de "filtrage" des investissements ou prévoyaient d'en adopter un, seuls Chypre et la Bulgarie faisant exception.
Parmi les projets d'investissement étudiés par les membres de l'UE en 2021, 73% ont été autorisés sans conditions par les gouvernements nationaux, 23% ont été validés sous conditions et seulement 1% ont été proscrits (les 3% restants correspondant à des opérations auxquelles les acteurs impliqués ont renoncé de leur propre chef).
En France, le dernier veto public en date est celui opposé au groupe américain Flowserve en mai 2023. Le ministre des Armées Sébastien Lecornu lui avait alors interdit de s'emparer de la PME francilienne Segault, qui fabrique notamment les robinetteries des chaufferies équipant les sous-marins nucléaires français.