GHAJAR: A cheval entre le Liban et le plateau du Golan, occupé et annexé par Israël, le pittoresque village de Ghajar se retrouve malgré lui au coeur des tensions entre les deux pays frontaliers, officiellement en état de guerre.
Dans les rues paisibles de Ghajar, aux parterres de fleurs bien entretenus, une frontière invisible sépare les deux camps.
"La ligne bleue est dans l'air", dit Abou Youssef Khatib, un habitant du village, en référence au nom de cette frontière imaginaire délimitée par l'ONU après le retrait israélien du sud-Liban en 2000, qui a mis fin à 22 ans d'occupation.
Celle-ci situe le nord de Ghajar en territoire libanais et la partie sud dans la région du Golan, relevant ainsi d'Israël.
Mais il y a quelques semaines, les Israéliens ont érigé une clôture surmontée de barbelés du côté libanais de la ligne bleue, trois mois après la plus importante confrontation de ces dernières années entre les deux pays, déclenchée par des tirs de roquettes depuis le Liban vers Israël.
Pour le ministère libanais des Affaires étrangères, il s'agit d'une tentative d'Israël d'annexer la partie nord de Ghajar.
Une série d'incidents a suscité la crainte d'un embrasement. Récemment, la zone frontalière avec Israël dans le sud du Liban, bastion du Hezbollah, a été le théâtre d'incidents entre le groupe libanais chiite pro-iranien et les forces israéliennes.
Dans les mémoires: une guerre dévastatrice qui avait opposé en 2006 Israël au Hezbollah et qui avait fait plus de 1 200 morts côté libanais, en majorité des civils, et 160 côté israélien, des militaires pour la plupart.
«Atmosphère électrique»
En dépit des tensions, Nahlah Saeed, une habitante de Ghajar, affirme s'y sentir en sécurité. "Je ne sais pas de quoi sera fait l'avenir" mais "je sais que je vis bien, heureuse", confie-t-elle à l'AFP, assise à l'ombre.
Selon la mairie, le village compte environ 3 000 habitants qui ont obtenu la citoyenneté israélienne depuis que le pays a saisi le plateau du Golan à la Syrie lors de la guerre des Six Jours en 1967, puis l'a annexé en 1981.
Nous avons "le droit de construire une clôture autour de nos propres maisons", estime Bilal Khatib, porte-parole du village.
Le conseil local a construit la barrière pour "protéger" les maisons, se justifie-t-il auprès de l'AFP, précisant qu'elle empêche également que "des animaux sauvages (entrent) dans le village".
La nouvelle clôture, de plusieurs mètres de haut, surplombe les maisons du village voisin libanais de Wazzani.
Les responsables locaux se querellent à coups d'actes de propriété et de cartes qui prouvent selon eux qu'ils sont les propriétaires des lieux.
Ahmad al-Mohammed, le maire de Wazzani, affirme s'être "adapté à l'atmosphère électrique".
"Ces dernières années, il y a eu des bombardements israéliens qui ont eu un impact humain, matériel et sur le bétail. Mais les gens ne quittent pas le village, car ils sont attachés à leurs moyens de subsistance", déclare-t-il.
Depuis quelques décennies, des citoyens israéliens ont commencé à construire des maisons aux murs pastel vers le nord de Ghajar. Les autorités libanaises considèrent ces actes comme une atteinte à leur souveraineté.
Aux abords de Wazzani, Imad al-Mohamed, dirige son troupeau de moutons. Du haut de son cheval, il affirme que "lorsque les terres libanaises de Ghajar seront récupérées, il y aura plus de pâturages" pour ses bêtes, désignant les maisons désormais derrière la barrière israélienne.
«La paix avant tout»
L'ONU sert de médiateur dans cette affaire de barrière et joue les intermédiaires dans les pourparlers sur la ligne bleue.
"Malgré toutes les tensions (...), les deux parties sont engagées au maintien de la trêve et ne veulent pas de conflit", assure Andrea Tenenti, porte-parole de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul).
Selon lui, "Israël doit se retirer de la partie nord de Ghajar", en vertu d'accords internationaux soutenus par les deux pays. Le Liban doit, pour sa part, enlever une tente érigée en début d'année de l'autre côté de la ligne bleue, au nord-est de Ghajar.
Un responsable sécuritaire israélien a déclaré sous couvert d'anonymat que "l'armée terroriste voyou" du Hezbollah l'avait installée.
"Personne ne veut que ça dégénère", poursuit toutefois ce responsable.
Pour Abou Youssef Khatib, le plus important reste "la paix avant tout".
"Chacun a ses droits, je prends la terre qui m'appartient et il prend la terre qui lui appartient", dit-il, face à la vallée.