LONDRES: Les grossesses et les accouchements peuvent être dangereux pour les futures mères dans des circonstances normales. Mais dans le nord-ouest de la Syrie, déchiré par la guerre et frappé par un tremblement de terre, la mise au monde d’une nouvelle vie est devenue une épreuve pénible.
Le mariage précoce, fait fréquent dans une région où les ménages sont confrontés à des difficultés financières et où les filles sont exposées à la violence sexiste, est souvent synonyme que les jeunes mères ne sont pas suffisamment développées pour faire face aux exigences physiques de l’accouchement.
Combinée à l’absence d’établissements de santé spécialisés, à la pénurie de professionnels de la santé et à l’impact de la malnutrition causée par le conflit en cours et les obstacles aux livraisons d’aide étrangère, la mortalité maternelle dans le nord-ouest de la Syrie est élevée.
Un récent rapport rédigé par l’Unicef (le Fonds des Nations unies pour l’enfance) a révélé une dégradation de l’état nutritionnel des enfants âgés de moins de cinq ans et des femmes enceintes et allaitantes dans les camps de déplacés et les communautés dévastées par la guerre de la région.
Diana al-Ali, fondatrice de l’organisation non gouvernementale locale Suriana, a déclaré à Arab News : «De nombreuses mères qui viennent d’accoucher dans les camps de déplacés souffrent d’anémie grave et de carences en vitamines.
«Il y a eu une pénurie de médicaments et d’aliments nutritifs. Nous avons réussi à fournir du lait maternisé, mais la quantité de nourriture allouée aux mères allaitantes a été insuffisante. Nous avons fait de notre mieux pour leur fournir du pain et de l’eau potable.»
Selon Physicians for Human Rights, au moins 2,3 millions de femmes et de filles du nord-ouest de la Syrie n’ont pas accès à des services de santé sexuelle et reproductive adéquats. Avant même les tremblements de terre du 6 février, les infrastructures de santé avaient déjà été dévastées par les combats.
Dans le nord-ouest du pays, les tremblements de terre ont endommagé 55 établissements de santé, interrompant les services dans 15 d’entre eux, selon un rapport de Médecins sans frontières publié en mars.
Al-Ali a indiqué : «Après le tremblement de terre, des femmes enceintes ont accouché sous les décombres fu après avoir survécu à la secousse. Cependant, aucune organisation n’a aidé ces femmes immédiatement après la catastrophe.
«Armanaz, dans le nord-ouest d’Idlib, où Suriana opère, ne dispose pas d’une maternité ni de cliniques spécialisées dans la santé reproductive des femmes. Même l’hôpital local manque de gynécologues et seule une sage-femme est disponible.»
Violet, une organisation syrienne qui gère deux hôpitaux à Ein et à Azaz, a constaté d’importantes pénuries de médicaments, d’équipement et de services, notamment dans le domaine de la santé reproductive des femmes.
Ces pénuries sont en partie dues au non-renouvellement d’un accord du Conseil de sécurité des Nations unies qui permettait à l’aide d'entrer directement dans le nord-ouest de la Syrie par le poste-frontière de Bab al-Hawa, en provenance de Turquie.
L’enclave, largement peuplée de familles déplacées par les combats qui se déroulent ailleurs en Syrie, est l’un des derniers bastions de l’opposition armée du pays qui s’est soulevée contre le régime du président syrien, Bachar al-Assad, à la suite de la répression des manifestations antigouvernementales en 2011.
Des années de bombardements et d’attaques aériennes du régime ont dévasté l’infrastructure sanitaire de la région du nord-ouest. Selon Physicians for Human Rights, de nombreux membres de la population traumatisée n’osent pas s’attarder dans les hôpitaux de peur d'être bombardés.
La Russie, principal soutien international du gouvernement syrien depuis 2015, a opposé son veto à l’accord de Bab al-Hawa, établi de longue date, en juillet, exigeant que toutes les livraisons humanitaires passent par Damas avant d’être distribuées dans les zones tenues par l’opposition.
Mohammed Isso, responsable des projets de santé de Violet, a indiqué à Arab News : «Avec le non-renouvellement de la résolution transfrontalière, nous sommes très inquiets quant à la continuité des services de santé essentiels qui dépendent entièrement des opérations humanitaires transfrontalières.»
Heureusement, pour les 4,6 millions de personnes du nord-ouest de la Syrie qui dépendent de ce corridor d’aide vital, un accord a été conclu avec Damas le 9 août pour rouvrir le point de passage à l’aide humanitaire pour les six prochains mois – après quoi il sera de nouveau soumis à un renouvellement.
Malgré ces interruptions de l’aide, les hôpitaux de Violet ont réussi à fournir des consultations médicales à au moins 3 967 femmes et nourrissons au cours du mois de juin seulement.
Parmi ces consultations, 428 concernaient des accouchements, par voie naturelle ou par césarienne, 1 183 des consultations dans les cliniques externes, 262 des nourrissons hospitalisés et 2 094 des consultations pour nourrissons.
«Bien qu’il existe des centres de santé, ils ne répondent pas entièrement aux besoins des femmes en matière de services de santé reproductive», a déclaré Isso.
«Malgré les efforts continus de collaboration de diverses organisations locales et internationales, y compris, mais sans s’y limiter, l’ONU, des lacunes importantes persistent. Ces lacunes comprennent une pénurie de médicaments, les patients devant souvent se procurer eux-mêmes les médicaments qu’ils utilisent pendant leur hospitalisation.»
Isso a également souligné la pénurie de services dans des installations essentielles, telles que les laboratoires et l’imagerie avancée, qui sont particulièrement importants pour la détection précoce des tumeurs, y compris le cancer du sein et du col de l’utérus.
FAITS RAPIDES
- Sur les 4,6 millions de personnes vivant dans le nord-ouest de la Syrie, 63% sont des personnes déplacées, dont près de 80% sont des femmes et des enfants.
- 2,3 millions de femmes et de jeunes filles n’ont pas facilement accès aux soins médicaux, y compris en matière de santé sexuelle et reproductive.
- Bien que 40% de la population vive dans des camps, seuls 18% des établissements de santé s’y trouvent.
(Source : Physicians for Human Rights)
«En outre, il y a une pénurie de talents humains et d’expertise en raison de la grave fuite des cerveaux, les cadres médicaux ayant migré vers l’Europe et d’autres parties du monde», a ajouté Isso.
Il y a aussi la question de l’accès, de nombreuses femmes et jeunes filles ayant du mal à se rendre dans les centres qui offrent des services de santé reproductive.
«Les difficultés d’accès résultent de plusieurs facteurs, notamment la distance géographique, l’insuffisance des moyens financiers ou le manque de moyens de transport. Cette situation est particulièrement pertinente pour les filles en âge de procréer et les femmes nouvellement mariées.
«La capacité des femmes à accéder aux centres de soins dépend de la présence d’un accompagnateur, tel qu’un conjoint ou un tuteur, pour les soutenir ou les protéger. Cette exigence complique encore davantage la capacité des femmes à programmer leurs visites chez le médecin», a déclaré Isso.
Les centres de santé qui existent sont souvent situés dans des zones urbaines surpeuplées, où le personnel et les services sont à la limite de leurs capacités. Les zones rurales sont quant à elles très mal desservies.
«La présence d’un centre de soins dépend de l’endroit où il se trouve. Dans la ville d’Idlib, par exemple, il y a des centres de santé et des hôpitaux qui fournissent des services intégrés de santé reproductive, mais ils sont toujours bondés en raison de la densité de la population», a ajouté Isso.
Dans les camps de déplacés où Violet opère, Isso a indiqué que «les installations sanitaires sont soit une clinique mobile, soit un centre de soins de santé primaires». Ces cliniques «sont équipées du matériel de base pour les examens et souffrent souvent d’une pénurie de médicaments» et «le seul professionnel médical disponible est une sage-femme».
D’autres camps ne sont pas aussi bien équipés.
Al-Ali a déclaré : «Il n’y a pas de clinique mobile là où Suriana opère pour servir les femmes et leur fournir des médicaments, des suppléments vitaminiques nécessaires ou des produits hygiéniques.
«Pendant longtemps après le tremblement de terre, il n’y avait pas de toilettes à proximité pour les femmes déplacées. Les mères qui venaient d’accoucher devaient parcourir de longues distances pour passer aux toilettes, jusqu’à ce que des organisations caritatives en construisent de nouvelles pour elles.»
L’absence de services adéquats est particulièrement dangereuse pour les mineures, dont beaucoup ont été contraintes à un mariage précoce parce que leurs parents n’avaient plus les moyens de les garder, tant le désespoir financier des ménages déplacés est grand.F
Les complications lors de l’accouchement sont plus fréquentes chez ces jeunes mères.
Hamzah Barhameyeh, responsable du plaidoyer et de la communication à l’organisation caritative World Vision, qui s’occupe des enfants, a déclaré à Arab News que les conflits et l’effondrement économique étaient les principaux moteurs de l’augmentation du nombre de mariages d’enfants.
«Les habitants du nord-ouest de la Syrie ont du mal à joindre les deux bouts. Un moyen (apparemment) raisonnable de s’en sortir est de marier leurs filles à un jeune âge pour se soulager de certaines des charges économiques auxquelles ils sont confrontés», a-t-il indiqué.
«Avec le récent tremblement de terre, nous nous attendons à une augmentation spectaculaire du nombre de mariages d’enfants.»
Barhameyeh a souligné que le soutien de World Vision «adopte une approche holistique», aidant les enfants, les familles et leurs communautés par le biais de projets visant à lutter contre la malnutrition, ce qui inclut un soutien alimentaire direct aux femmes enceintes et aux mères allaitantes.
L’aide à la santé mentale des mères et de leurs enfants est également une mesure préventive, a-t-il ajouté.
Quant à Suriana, elle prépare actuellement des cours de formation spécialement conçus pour les nouvelles mères, afin de les aider à prendre soin d’elles-mêmes et de leurs enfants.
«Mais nos efforts doivent être soutenus par d’autres organismes, qui peuvent fournir des infirmeries mobiles pour aider les mères à prendre soin de leur santé et de leurs nouveau-nés», a ajouté Al-Ali.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com