NIAMEY: Déterminés, ou inquiets. A la veille d’une possible intervention des forces ouest-africaines contre la junte au pouvoir, nombre d’habitants de Niamey s'élèvent contre une opération militaire aux conséquences potentiellement dévastatrices.
La capitale est un fief des opposants au régime déchu du président Mohamed Bazoum, toujours retenu en otage par les militaires. Et dans les ruelles poussiéreuses du quartier Boukoki, la perspective d’une intervention des forces de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est accueillie avec défi.
"On va se battre pour cette révolution, on ne va pas reculer devant l’ennemi, on est déterminés", martèle Adama Oumarou, résidente du quartier. "Ce coup, on l’attendait depuis longtemps. Quand il est arrivé pour nous, ça a été un ouf de soulagement !" assure-t-elle.
Une détermination largement partagée dans ces allées bordées d’échoppes où résonnent les saccades des machines à coudre.
Victoire certaine
"Si la Cedeao intervient, ça va encore aggraver la situation. Mais les gens sont prêts et la population va soutenir les nouveaux dirigeants, parce que nous voulons du changement", assure Jackou, commerçant dans le textile, assis à l’intérieur d’une boutique aux murs fanés.
Le putsch est vécu comme une libération pour nombre de petits commerçants aux prises avec une situation économique morose dans un pays classé parmi les plus pauvres au monde, après douze années de pouvoir du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS).
Face à une classe politique jugée corrompue, l’armée nationale a conservé son prestige. Et en cas de guerre contre les forces de la Cedeao, la victoire ne fait aucun doute.
"On a confiance en nos soldats !", lance Abdoulaye Issaka, assis derrière sa machine à coudre, au milieu de piles de tissus enchevêtrés.
"On a le soutien du Mali, du Burkina, ça nous a beaucoup renforcés", assure cet artisan, alors que Bamako et Ouagadougou ont averti que "toute intervention militaire contre le Niger serait considérée comme une déclaration de guerre" à leur encontre.
"Comment progresser dans une ville ou toute la population est hostile à la Cedeao? On va se battre dans tous les recoins", promet Amadou Bounty Diallo, analyste et ancien militaire qui se dit prêt à renfiler l’uniforme.
Conflit fratricide
Plus qu’une défaite militaire jugée improbable, c’est la perspective d’un conflit fratricide qui inquiète.
Dans ce quartier populaire, nombre de boutiques sont tenues par des expatriés du Nigeria voisin: ils disent craindre des représailles en cas d’intervention des forces de leur pays.
"Nous n’avons pas besoin de ce conflit, estime Muhammad, couturier installé au Niger depuis cinq ans. "Nous savons que les gens du Niger seront en colère, ils vont nous regarder comme des ennemis. Si quelque chose se passe, on va rentrer au Nigeria ", assure-t-il.
"Mes parents m’ont appelé pour que je rentre au pays mais moi je reste, je n’ai pas peur", affirme Mustapha Ousmane, employé dans la boutique d’Abdoulaye Issaka.
Un collègue nigérien fait mine de lui trancher la gorge avec son pouce, et éclate de rire.
L’heure est encore à la plaisanterie et la perspective d’un conflit entre pays "frères" reste inimaginable pour les ressortissants des deux pays, qui entretiennent des liens commerciaux, linguistiques et familiaux étroits.
"Si les pays de la Cedeao prennent les armes, ils vont tuer leurs frères, et nous aussi on va les tuer, et après comment on va se regarder ? Ça n’a pas de sens !", souffle Jackou.
Et si les partisans d'une intervention se font discrets, même les soutiens du régime déchu ne sont pas tous convaincus du bien-fondé d’une opération qui pourrait faire des victimes civiles.
"Il n’y a qu’à laisser la transition puis aller aux élections. La guerre, ce n’est pas la solution. Il peut y avoir beaucoup de morts, et pas seulement au palais, mais aussi dans les quartiers", s’inquiète Indou, employée d’une agence de transfert d’argent par téléphone.
"Où est-ce que je vais aller ? J’ai pas les moyens de me défendre, on n’a que nos doigts pour prier", dit la jeune femme, fataliste.
Indou s’en remet à Dieu, comme nombre d’habitants d’un pays à 98% musulman, où la religion rassemble quand la politique divise.
"On prie Allah pour qu’il protège notre pays. Dans les mosquées, à la maison, dans les rues, chaque instant", déclare Adama Oumarou.
Face à des lendemains incertains, le flegme domine et une formule revient dans toutes les bouches : "Dieu seul sait… Inch'allah !"