LAHORE: "Quand vous perdez votre boulot, votre vie s'arrête". Lubna Babar a été licenciée en début d'année, victime de la crise de l'industrie textile pakistanaise, qui perd du terrain face à ses concurrentes asiatiques.
"Nous avons travaillé en usine pendant des années (...) Le jour où vous êtes renvoyée, c'est la fin de l'histoire", confie à l'AFP cette ouvrière de 43 ans, qui vit à Lahore (centre-est).
"Nous, les femmes, nous nous sommes enlacées et avons crié. La grande question était: +Que va-t-on faire maintenant?+. Même quand nous travaillions, nous n'arrivions pas à faire face à toutes les dépenses de notre foyer", raconte cette mère de trois enfants.
La filière textile pakistanaise, comme d'autres, a souffert du ralentissement de la consommation mondiale et de la hausse des coûts de l'énergie, après le déclenchement de la guerre en Ukraine.
Mais les difficultés du secteur, qui compte pour 60% du total des exportations pakistanaises, ont été aggravées par la situation critique de l'économie nationale, avec une crise de la balance des paiements et un énorme endettement, et par plusieurs mois de chaos politique.
"Il y a deux ans, nous étions sur une trajectoire de très forte croissance (...) Nous étions convaincus que nos exportations cette année atteindraient 25 milliards de dollars", explique à l'AFP Hamid Zaman, directeur général de Sarena textile industries.
"Malheureusement, quand vous avez de l'instabilité politique, que les choses ne sont pas claires, que les politiques gouvernementales s'inversent, tout dérape", ajoute-t-il.
Le secteur du textile et de l'habillement emploie environ 8 millions de personnes, soit 40% de la main-d'oeuvre industrielle du pays. Mais nombre d'usines ont dû fermer - au moins temporairement - ces derniers mois, ou ne produisent plus à pleine capacité.
«Des milliers crèvent de faim»
"Peut-être 25 à 30% de toutes les usines textiles ont fermé (...) On estime avoir perdu peut-être 700.000 emplois dans l'année ou l'année et demie écoulée", ajoute M. Zaman.
"J'ai essayé de trouver du travail dans une autre usine, mais ils m'ont dit qu'eux aussi licenciaient", témoigne Lubna. "Ils disaient qu'ils ne recevaient plus de commandes de l'étranger."
Aujourd'hui, "la vie devient chaque jour plus difficile", ajoute-t-elle. Dans sa famille, "on cuisine une fois pour deux jours. Et si on n'a pas de nourriture, on fait avec, sans se plaindre".
"Le gouvernement doit ouvrir les usines textiles, parce qu'il y en a des milliers d'autres comme moi qui, maintenant, crèvent de faim", supplie-t-elle.
Après les inondations dévastatrices de l'été 2022, la production de coton est tombée à un plus bas historique au Pakistan.
L'industrie textile n'a pas pu compenser en achetant à l'étranger, en raison du blocage des importations décidé par le gouvernement en début d'année, pour surmonter la baisse drastique de ses réserves de change et au risque d'un défaut de paiement.
Des milliers de conteneurs sont restés immobilisés pendant des mois dans le port de Karachi (sud), remplis de matières premières et d'autres marchandises indispensables aux industries.
Le pays est finalement parvenu à consolider ses réserves de change, avec l'approbation mi-juillet d'un prêt de trois milliards de dollars par le Fonds monétaire international (FMI), et l'aide financière de l'Arabie saoudite et des Emirats arabes unis.
«Augmenter les exportations»
"Mais ce n'est pas une solution, c'est juste s'endetter de plus en plus", observe Kamran Arshad, directeur général de Ghazi Fabrics international.
"La seule manière de procéder, c'est d'augmenter les exportations du Pakistan et de créer un environnement qui soit favorable aux investisseurs, aux affaires, et qui favorise la production et l'activité industrielles", ajoute-t-il.
L'une des contreparties de l'accord avec le FMI a été la fin des subventions au secteur énergétique. Cela a engendré une forte hausse du coût de l'électricité qui a affecté la compétitivité des entreprises textiles, déjà confrontées à de préjudiciables pénuries d'énergie.
"Nous ne demandons pas de subventions, en réalité ce que nous demandons ce sont des prix de l'énergie régionalement compétitifs", souligne M. Arshad.
"Notre principal défi pour l'avenir, c'est que nous avons des prix de l'énergie qui sont substantiellement plus élevés que ceux de l'Inde, du Bangladesh, du Sri Lanka, du Vietnam et de la Chine", insiste-t-il.
Face à ces concurrents, le Pakistan a perdu des parts de marché, ses entreprises devant également composer avec des taux d'intérêts de plus de 20% pour contrôler une inflation record.
"La part de marché globale du Pakistan dans l'industrie du textile et du vêtement était de près de 2,25% il y a environ deux ans. Maintenant, elle a baissé à près de 1,7%", constate Aamir Fayyaz Sheikh, PDG de Kohinoor Mills. "Les entreprises sont pénalisées par ces coûts financiers très élevés."
"Après les élections (prévues d'ici la fin de l'année), il y aura plus de clarté politique et cela aidera à amener plus de stabilité économique", pense-t-il. "Nous demandons au gouvernement de nous mettre sur un pied d'égalité avec ces pays, pour que l'industrie pakistanaise puisse rivaliser."