PARIS: Les putschistes au Niger ont dénoncé plusieurs accords militaires conclus avec la France. Si Paris estime que cette dénonciation n'a pas de fondement juridique, celle-ci soulève de nombreuses questions.
Q: Quels sont ces accords dénoncés par les militaires du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) ?
R: Cinq accords distincts ont été dénoncés. Ils sont actuellement suspendus par Paris qui réclame le retour du président Mohamed Bazoum élu démocratiquement et ne veut pas coopérer avec les militaires putschistes.
Ces accords "correspondent à différents aspects de la coopération et de l'intervention militaires françaises au Niger", explique Julien Antouly, chercheur à l'Université Paris-Nanterre, dans une série de messages postés vendredi sur le réseau X (ex-Twitter).
Il y a notamment un accord signé le 19 février 1977, qui remplaçait l'accord de défense signé au lendemain de l'Indépendance (1961), "devenu caduc après le Coup d'Etat de 1974", détaille-t-il.
Julien Antouly évoque en outre "deux Accords signés en mars et juillet 2013, relatifs à 'l'intervention de militaires français au Niger pour la sécurité au Sahel'", qui encadrent juridiquement les forces françaises participant aux opérations, "mais leur contenu n'a jamais été publié".
Il note par ailleurs que si la France a mis en avant sa nouvelle stratégie - transformation de sa coopération avec la "dé-Barkhanisation" de son dispositif militaire -, "ces engagements, français et nigériens, ne semblent pas avoir été matérialisés par de nouveaux accords".
Q: Un départ des militaires français est-il inéluctable du Niger ?
R: "Oui", estime François Gaulme, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Si les militaires se maintiennent au pouvoir, il sera difficile pour la France de faire "le grand écart entre récuser le pouvoir militaire et continuer à travailler ensemble contre le terrorisme islamiste", souligne ce spécialiste de la politique de la France en Afrique. "Ce n'est pas tenable".
"Je pense qu'on va vers l'évacuation des militaires français", estime également Florence Boyer, spécialiste du Niger et chercheuse à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), un établissement public français.
Elle relève la difficulté de mettre en oeuvre un retrait des militaires. "Evacuer des soldats, c'est une chose", dit-elle. Mais elle s'interroge sur le maintien ou non d'une coopération militaire sans une présence militaire française sur le sol nigérien ou sur la possibilité d'une coopération plus technique, telle qu'une coopération de formation.
Mardi, le chef d'état-major avait estimé qu'un départ des 1 500 militaires français n'était "pas à l'ordre du jour".
Q: Un départ des militaires français sonnerait-il le glas de la lutte contre le djihadisme au Sahel ?
R: "Bien sûr", répond François Gaulme. "Le Niger est un Etat clé" dans le dispositif antidjihadiste français au Sahel, explique-t-il.
Et de rappeler la configuration: il s'agit de lutter à l'ouest contre le djihadisme du Mali jusqu'à Gao; et de l'autre côté, à l'est, contre le groupe djihadiste Boko Haram. Or "Gao est beaucoup plus proche de Niamey que de Bamako et on a retiré de Gao notre grosse base française", observe l'expert de l'Ifri. "Le Niger est lié stratégiquement et structurellement au Mali", dit-il.
"On essaie de lutter sur deux fronts, sans le Niger, cela semble compromis".
Niamey est aussi un partenaire privilégié des Etats-Unis et des Européens plus généralement. Et le Niger semblait le partenaire stable dans une région où l'influence russe est grandissante.
Q: Une intervention militaire des pays de la Cedeao (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'ouest) est-elle possible et une aide des Etats-Unis, de la France, plus largement de la communauté internationale est-elle envisageable ?
R: En décembre dernier, les pays de la Cedeao ont décidé de créer une force régionale vouée à intervenir non seulement contre le djihadisme mais encore en cas de coup d'Etat. Ils ont posé un ultimatum jusqu'à dimanche pour un retour à l'ordre constitutionnel au Niger, menaçant d'une intervention militaire. Une source diplomatique française estime qu'ils ont en outre les moyens militaires d'intervenir.
Une intervention dans les tout prochains jours "paraît impensable", selon M. Gaulme, qui s'attend à ce que tout le monde temporise. "Stratégiquement, c'est très difficile à organiser dans l'urgence, je ne crois pas à une intervention lundi matin à l'issue de l'ultimatum".
Quant à "un soutien financier et logistique de la France et des Etats-Unis, oui bien sûr, mais je ne vois pas de troupes américaines ou françaises attaquant" le Niger, dit-il.
Q: Le groupe paramilitaire russe Wagner va-t-il étendre sa toile au Niger ?
R: "A notre connaissance, Wagner n'a pas joué de rôle dans le putsch car c'est un mouvement assez peu organisé", a souligné une source diplomatique française. "En revanche, il est clair que Wagner s'intéresse au Niger depuis longtemps. Il travaille à des relais locaux via le (groupe d'activistes) M62", dit-elle. "Et la rapidité avec laquelle des drapeaux russes tout neufs ont été déployés dans les manifestations montre qu'il y avait des choses mises en place".
"Il nous semble avéré que des contacts via des Maliens sont en train de se mettre en place", ajoute-t-elle.