BEYROUTH: Le Liban a pleuré vendredi les personnes tuées dans l'explosion du port qui a dévasté Beyrouth il y a trois ans.
Les enquêtes sur l'explosion du 4 août 2020 qui a secoué le port de Beyrouth sont au point mort.
Les familles des plus de 230 victimes – notamment celles qui ne se sont toujours pas remises de leurs blessures – cherchent des réponses à cet événement tragique et exigent une reddition de comptes.
Trois ans après l'explosion de Beyrouth: En quête de justice et de réponses
Cette année, la commémoration est alimentée par la poursuite de «la justice et la reddition de comptes», a déclaré William Noun, porte-parole des familles et frère du pompier décédé Joe Noun.
William Noun s'est exprimé lors du rassemblement de proches vendredi sur le site de l'explosion et a déclaré que, trois ans après le crime, les familles poursuivaient toujours cette affaire avec ténacité.
«Le droit de nous exprimer comme bon nous semble est indéniable. Ce problème ne se limite pas à quelques-uns. Il nous concerne tous», a-t-il souligné.
Les familles des victimes restent attachées à cette cause, la considérant comme un hommage à la mémoire de leurs proches disparus, des blessés et de toutes les personnes touchées par l'explosion.
Cette journée de deuil a été marquée par la fermeture des institutions publiques et privées.
Des banderoles noires ont été accrochées le long des routes menant au port de Beyrouth, appelant au soutien de l'ONU et à l’ouverture d’une «enquête internationale.»
Des portraits des victimes de l'explosion ornaient les murs ou étaient portés par des proches en deuil pendant leur marche.
Des militants ont affiché au Palais de justice de Beyrouth des photos de personnes soupçonnées d'être impliquées dans ce crime.
Parmi elles figurent d'anciens ministres, des députés actuels, des responsables de la sécurité et le procureur général du Liban, le juge Ghassan Oueidat, ainsi que d'autres juges.
Les militants ont pris l'initiative de faire progresser l'affaire devant des juridictions étrangères, notamment britanniques.
Pressions politiques et obstruction de la justice: Les défis de l'enquête sur l'explosion
Leurs efforts ont redéfini les perspectives dans le monde entier, recueillant le soutien d'un comité d'enquête international.
Les investigations menées par le juge Tarek Bitar, chargé de l’enquête, n'ont jusqu'à présent pas abouti à des résultats tangibles.
Le juge Bitar lui-même est maintenant devenu un accusé, faisant face à des accusations d'«usurpation d'autorité.»
Ces dernières évolutions ont lieu dans un contexte de pressions exercées par des dirigeants au pouvoir, qui ont manipulé le système judiciaire en vue de faire obstruction à l'enquête.
Les sermons du vendredi dans les mosquées ont été consacrés à plaider en faveur de la justice pour les familles des victimes.
Au cours d'une messe organisée pour les victimes, le patriarche maronite Béchara Boutros al-Rahi a soutenu la demande des familles pour qu'une commission internationale d'enquête assiste l'enquêteur judiciaire dans sa recherche de la vérité.
Il a exhorté à mettre fin à «l'ingérence politique dans l'enquête.»
Al-Rahi a souligné le fait que le blocage des enquêtes ne signifiait pas que l'affaire était close, ni que les responsables de l'explosion resteraient impunis.
De nombreuses personnalités locales et internationales ont publié des déclarations condamnant la dissimulation des faits.
Le ministère français des Affaires étrangères a souligné dans un communiqué que la justice libanaise devait poursuivre l'enquête en «pleine transparence, et loin des interventions politiques.»
Alors que les cloches des églises sonnaient et que les appels à la prière résonnaient depuis les mosquées de Beyrouth à 18h07 précises, marquant le troisième anniversaire de l'explosion, les familles des victimes ont de nouveau été submergées par une profonde douleur.
Deux cortèges se sont dirigés vers le site de l'explosion, dont l'un était mené par une faction qui s'est séparée du groupement principal des familles, en raison des pressions du Hezbollah et du mouvement Amal.
Ce groupe qui s’est détaché a protesté contre ce qu'il perçoit comme «la dérive et la politisation de l'enquête par le juge Bitar», après que des accusations ont été portées contre l'ancien Premier ministre Hassan Diab, d'anciens ministres, des députés actuels, un ancien chef de la Sécurité générale et d'autres personnes encore.
Mireille, la mère du jeune Élias Khoury, a confié: «La personne que j'étais avant août 2020 n'existe plus. Aujourd'hui, je suis une personne changée, existant simplement – mangeant, buvant et respirant – tout cela pour résister et poursuivre la cause à laquelle je me dédie.
«Ma douleur va au-delà des mots. Pendant qu'ils continuent leur vie comme si de rien n'était, nous portons le poids d'une énorme injustice.»
Les familles des victimes se sentent désormais plus abandonnées que jamais, considérant ces évolutions au sein du système judiciaire comme une tentative de clore un chapitre difficile à fermer.
Yousra al-Amine refuse de se séparer de la photographie de son plus jeune fils, Ibrahim, qu'elle garde près de son cœur jour et nuit.
Le corps d'Ibrahim a été découvert par les équipes de la défense civile au milieu des ruines, quatre jours après l'explosion.
Yousra maintient son espoir de justice malgré la multitude d'obstacles.
Elle visite quotidiennement la tombe de son fils, affirmant: «Je continuerai à demander justice pour mon fils jusqu'à mon dernier souffle. Je n’abandonnerai jamais.»
Le fils d'Abdo Matta, Charbel, alors âgé de 23 ans, a perdu la vie trois ans après avoir rejoint les forces de sécurité de l'État.
Abdo Matta a raconté: «Charbel n'était pas censé être au port ce jour-là, mais il a échangé ses horaires de travail avec un collègue et a connu une fin fatale.»
Hiyam Qadan, qui a perdu son fils Ahmed, alors âgé de 30 ans, a demandé que toutes les personnes impliquées rendent des comptes
Elle a précisé: «Nous avons le droit de savoir qui a provoqué l'explosion qui a coûté la vie à nos enfants. Nous ne nous tairons pas tant que nous n'aurons pas rendu publique l'identité du meurtrier.»
«C'est notre droit. J'ai perdu mon fils six jours avant son anniversaire; il avait l'intention d’émigrer, mais il est mort avant de pouvoir partir.»
«Où est la reddition de comptes? Où sont les suspects? Ils ont libéré les détenus et tentent d'enterrer le crime. Que leurs cœurs brûlent comme ils ont brûlé les nôtres.»
Rima al-Zahed a perdu son frère Amine, alors âgé de 40 ans, qui était employé au port de Beyrouth. «Le chagrin est immense et n'a toujours pas diminué. L'État est responsable de ce qui s'est passé. Quatre agences de sécurité ont été chargées d'assurer la sécurité du port.»
«Pouvons-nous imaginer un scénario dans lequel une explosion d'une telle ampleur se produit alors que personne n'est tenu pour responsable ? Les officiels se couvrent les uns les autres; tout le monde est impliqué. C'est une mascarade», a-t-elle affirmé.
Jawad Shia, un jeune homme alors âgé de 30 ans, a tragiquement été victime de l'explosion trois jours à peine avant son anniversaire.
Son père, Ajwad, raconte: «Après avoir obtenu son diplôme, il a intégré l'armée libanaise. Le 4 août, il était de faction au port de Beyrouth. C'était un jeune homme poli et apprécié, et la seule personne sur qui je pouvais compter dans la vie.»
Il a déclaré que les familles des victimes étaient confrontées à des bandes criminelles et à des meurtriers qui échappent à la justice.
Trois ans après l'explosion, il n'y a plus de détenus en rapport avec cette affaire, alors que 17 personnes étaient détenues au cours des deux années précédentes.
Parmi les personnes libérées figure Mohammed Ziad al-Awf, responsable de la sécurité et de la Sûreté au port de Beyrouth, qui détient la nationalité américaine.
Il a vite regagné les États-Unis via l'aéroport international Rafic Hariri de Beyrouth immédiatement après avoir été libéré.
Le 4 août 2020, environ 2 750 tonnes de nitrate d'ammonium, stockées pendant des années dans un entrepôt du port, ont explosé en raison d'activités de soudage sur les murs structurellement endommagés.
L'explosion a enflammé environ la moitié du matériel stocké, entraînant la mort de 235 personnes, faisant 7 000 blessés, des destructions énormes et le déplacement d'environ 300 000 personnes.
L'enquêteur judiciaire a effectué une simulation du crime au port, bien que les conclusions restent non divulguées.
Les pertes matérielles de l'explosion ont été estimées entre 3,8 et 4,6 milliards de dollars, selon la Banque mondiale.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com