RHODES: Seul face à la mer, attablé à sa taverne désertée sur l'île grecque de Rhodes, Vassilis observe désolé les rotations des canadairs plongeant inlassablement dans la mer Egée pour remplir leurs réservoirs.
C'est "apocalyptique", lâche-t-il alors que le sud de cette île très touristique face aux côtes turques est en proie à de violents incendies depuis plus d'une semaine.
Le poing fermé maintient sa tête lourde et embrumée.
"Que le feu commence de l’autre côté de l’île et vienne nous brûler ici (...) comment c’est possible", interroge le restaurateur.
Les flammes ont atteint samedi la station balnéaire de Kiotari, située sur la côte est de Rhodes. Les incendies de forêt ont commencé mardi dernier dans le centre de l'île du Dodécanèse.
Le pourtour méditerranéen théâtre d'incendies violents, souvent meurtriers
Ecrasés par des températures caniculaires, plusieurs pays du bassin méditerranéen affrontent de violents incendies au cours le l'été, un phénomène qui s'accentue d'année en année sous l'effet du changement climatique.
Des incendies parfois meurtriers ont éclaté, comme en Algérie, où le feu a fait au moins 34 morts depuis dimanche. Voici un état des lieux des brasiers qui consument actuellement le pourtour méditerranéen.
Algérie: au moins 34 morts en trois jours
En Algérie, les pompiers poursuivaient mardi soir leurs efforts pour venir à bout de 11 foyers d'incendies ayant ravagé le nord-est, après être parvenus à maîtriser la majorité des feux qui ont fait au moins 34 morts en trois jours.
Même si les soldats du feu ont pu éteindre la majorité des incendies, il reste 11 foyers dans sept wilayas (préfectures) du nord et de l'est.
Des images de médias locaux montrent des champs et des maquis en feu, des voitures calcinées et des magasins réduits en cendres.
A Toudja, dans le nord-est, où 16 personnes ont péri, l'incendie a été presque entièrement contenu, en dépit de quelques foyers persistants. Des avions anti-incendie ont largué de l'eau pendant deux jours sur cette zone boisée, située au bord de la Méditerranée dans la wilaya de Béjaïa.
Grèce: trois décès liés aux feux
Deux pilotes d'un Canadair sont morts dans le crash de leur avion et le corps d'un homme a été retrouvé carbonisé mardi en Grèce, aux prises avec des incendies violents qui ravagent ce pays éprouvé par des températures caniculaires depuis dix jours.
L'avion bombardier d'eau s'est écrasé dans un ravin alors qu'il luttait contre un feu de forêt dans le sud de l'île d'Eubée. Des centaines de pompiers et au moins quatre avions luttaient mardi contre les flammes sur cette île proche d'Athènes.
C'est également sur cette île qu'a été retrouvé le corps carbonisé d'une troisième victime.
Alors que les images des forêts et de la végétation calcinées ont bouleversé toute la Grèce, le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis a prévenu que la lutte contre les incendies resterait "difficile".
Les corps de deux septuagénaires ont été retrouvés carbonisés dans une maison engloutie par les flammes et une femme de 88 ans est morte près de Palerme, ont rapporté les médias mardi soir.
Les pompiers siciliens ont par ailleurs lutté dans la nuit de lundi à mardi contre plusieurs incendies, dont l'un est arrivé tout près de l'aéroport de Palerme, qui a été fermé pendant plusieurs heures dans la matinée.
Le président de la région sicilienne, Renato Schifani, a indiqué vouloir demander au gouvernement, qui se réunit mercredi en conseil des ministres, de décréter l'état d'urgence sur l'île méditerranéenne.
France: incendie virulent en Haute-Corse
Les pompiers luttaient dans la nuit de mardi à mercredi contre un incendie virulent attisé par des rafales de vent menaçant trois villages en Haute-Corse, un département français situé sur l'île de Corse (sud).
Les feux étaient proches de trois villages, Corbara, Pigna et Santa-Reparata-Di-Balagna et plus particulièrement de deux hameaux avec "de nombreux points sensibles, des habitations, des points religieux", selon les pompiers.
Quelque 130 hectares de végétation ont été ravagés par les flammes selon un dernier bilan.
Plaies ouvertes
Vidé de ses touristes, le littoral tente de panser ses plaies toujours ouvertes.
"Une semaine qu’on n’a ni électricité, ni eau, ni téléphone", se plaint Vassilis qui n'a pas souhaité donner son nom de famille. Le regard humide se perd à l’horizon.
Rues désertées, rideaux baissées, la côte vit au rythme des camions de pompiers et des véhicules de volontaires dans une atmosphère lugubre.
"Il n’y a rien de pire que ce qu’on vient de vivre", renchérit Christos Kitsos.
L’insulaire, qui travaille dans un hôtel de luxe de la région, laisse éclater sa colère.
"Les autorités ont échoué. Maire, gouverneur, gouvernement. Tous !", accuse-t-il.
"Il y a un manque d’organisation totale, aucune information n’est donnée. C’est la pleine saison, il y a 200.000 touristes sur l’île et on s’est débrouillés tous seuls", poursuit-il, ne pouvant plus retenir sa colère.
"On a été abandonnés. La honte!", insiste l’homme de 34 ans.
Quelque 30.000 personnes, dont de nombreux touristes en vacances dans des hôtels de la côte est, ont été évacuées durant le weekend à Rhodes, soit la plus grande opération de genre jamais effectuée en Grèce, selon les pompiers.
Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a quant à lui évoqué mardi le chiffre de 20.000 évacuations à Rhodes, touristes compris.
Des arbustes carbonisés bordent la plage désertée. L’épaisse fumée grise continue de balayer le ciel.
"La catastrophe écologique est immense, on va mettre des années à s’en remettre", déplore Christos Kitsos. "Le travail n’est pas du tout la priorité du moment", estime-t-il.
"L’avenir immédiat est très incertain pour tous les employés du secteur touristique et la communauté locale", juge Dionysis Sabatakos, directeur adjoint d’un complexe hôtelier partiellement détruit par les flammes.
"On ne sait pas encore comment les touristes et les tours opérateurs vont se comporter dans les prochaines semaines", ajoute-t-il.
Circulation paralysée
"Les personnes travaillant du tourisme directement ou indirectement sont très nombreuses dans la région. Toute la circulation est paralysée parce que tout est détruit", poursuit-il.
Les professionnels du secteur touristique appréhendent la suite.
"On ne sait ni quand ni comment on va pouvoir reprendre une activité, ni comment le marché va répondre", s’inquiète encore M. Sabatakos.
Les paysages noircis entourent les bâtiments. La taule grince sous les rafales de vent.
"Voir la nature carbonisée, tous ces animaux morts, ça me déprime", grimace-t-il.
Sur la route qui borde le littoral oriental de Rhodes, des hommes s’affairent auprès des poteaux électriques, des troncs calcinés sont découpés.
Dimitris est venu ouvrir son supermarché épargné, "juste le temps que les personnes du coin puissent se réapprovisionner en clopes. Je ne suis pas en état psychologique de faire plus", confesse-t-il.
"Mais on a assez pleuré. La question c’est qu’est-ce qu’on fait maintenant ?".