PHNOM PENH: Les Cambodgiens sont appelés à renouveler dimanche une Assemblée nationale totalement acquise au Premier ministre Hun Sen, au cours d'une élection largement qualifiée de simulacre, toute opposition crédible ayant été exclue.
Dans ce scrutin étroitement contrôlé par le régime, le Parti du peuple cambodgien (PPC) de Hun Sen, qui occupe les 125 sièges de la chambre sortante, devrait de nouveau facilement obtenir une large majorité.
Au pouvoir depuis 38 ans, le Premier ministre âgé de 70 ans, aux méthodes jugées autoritaires, postule pour un nouveau mandat avec la quasi garantie de l'obtenir.
Le dirigeant prépare désormais son héritage, souhaitant cimenter le contrôle avant de passer le relais - peut-être d'ici 3 à 4 semaines, a-t-il déclaré dans une interview cette semaine - à son fils aîné, le général quatre étoiles Hun Manet, formé aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.
"Dans le meilleur des cas, une fois au pouvoir, Hun Manet permettrait à un parti d'opposition aujourd'hui brimé comme le Parti de la bougie de participer aux élections, sans réelle chance de gagner", déclare à l'AFP Sebastian Strangio, auteur d'un ouvrage sur le Cambodge sous Hun Sen.
Imposer son fils, "c'est un coup de poignard dans le dos du peuple cambodgien" de la part du dirigeant, selon Phil Robertson de Human Rights Watch, une ONG de défense des droits humains.
"Aujourd'hui est un jour de victoire pour nous", a lancé Hun Manet vendredi matin lors du dernier rassemblement de la campagne, promettant que le royaume retrouvera la fierté de l'empire khmer qui domina la région pendant 500 ans au Moyen Age.
Face à une marée de supporters, sous un portrait géant de son père, il a exhorté les Cambodgiens à voter pour le parti au pouvoir, le seul "capable de diriger le Cambodge", avant de prendre la tête d'un cortège de plusieurs milliers de véhicules à travers la capitale.
Cambodge: les grandes dates de Hun Sen, au pouvoir depuis 1985
Les Cambodgiens votent dimanche dans le cadre d'élections législatives qui devraient une nouvelle fois voir Hun Sen triompher, après avoir exclu de la course toute opposition sérieuse.
A 70 ans, cet homme fort, qui compte parmi les dirigeants les plus anciens du monde, dirige le petit pays pauvre d'Asie du Sud-Est d'une main de fer depuis le milieu des années 1980.
Voici une chronologie de sa vie politique, depuis sa jeunesse chez les khmers rouges, son émergence comme dirigeant, l'écrasement de l'opposition jusqu'à la préparation de sa succession :
1952
Août: naissance dans un petit village au nord-est de Phnom Penh.
1970
Devient cadre au sein des Khmers rouges avant de s'enfuir au Vietnam pour échapper aux purges internes en 1977.
1979
Janvier: retourne au Cambodge avec l'invasion vietnamienne. Hanoi installe un nouveau régime à Phnom Penh, il en devient le ministre des Affaires étrangères.
1985
Janvier: à 32 ans, Hun Sen devient Premier ministre d'un gouvernement pro-vietnamien. 38 ans plus tard, il est toujours au pouvoir.
1991
Octobre: signature à Paris d'un traité de paix par toutes les factions, dont les Khmers rouges, après plus de 20 ans de guerre civile. Le pays est placé sous tutelle de l'ONU jusqu'à l'organisation d'élections libres.
1993
Septembre: une nouvelle Constitution rétablit Sihanouk sur le trône. Son fils Norodom Ranariddh est élu premier Premier ministre, et Hun Sen nommé second Premier ministre.
1997
Juillet: coup d'Etat sanglant, Norodom Ranariddh est évincé du pouvoir, Hun Sen redevient seul Premier ministre.
2013
Juillet: le Parti du peuple cambodgien (CPP) de Hun Sen remporte les législatives mais l'opposition crie à la fraude et conteste les résultats, ouvrant une crise politique. Un an plus tard, une répression policière met fin aux manifestations.
2017
Septembre: le Parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC), principal mouvement d'opposition, remporte largement les élections locales, mais son leader, Kem Sokha est inculpé pour trahison et placé en détention.
Novembre: la Cour suprême cambodgienne, contrôlée par le régime, ordonne la dissolution du PSNC. De nombreux cadres fuient à l'étranger.
2018
Juillet: le parti d'Hun Sen remporte sans surprise les élections législatives, raflant les 125 sièges du Parlement et suscitant une condamnation internationale.
Devant les menaces de sanctions de l'UE, plusieurs opposants sont libérés.
2019
En réaction aux élections, l'UE prend des premières mesures pour annuler les accords commerciaux avec le Cambodge.
Novembre: Kem Sokha est libéré de son assignation à résidence, mais reste sous la menace d'un procès pour trahison, et d'autres opposants politiques sont également libérés.
2020
Janvier: Kem Sokha est jugé pour trahison, et des responsables syndicaux sont arrêtés.
2021
Octobre: une loi est adoptée interdisant aux hommes politiques de posséder une double nationalité, visant directement certains opposants en exil.
Hun Sen parle de son fils Hun Manet comme de son successeur.
2022
Mars: Sam Rainsy, opposant en exil en France, est condamné à 10 ans de prison, de même que d'autres figures de l'opposition.
Juin: 60 personnalités de l'opposition sont condamnées.
Octobre: Rainsy est condamné à la prison à vie, reconnu coupable d'avoir voulu céder une partie du territoire cambodgien à une entité étrangère.
2023
Février: Hun Sen ordonne la fermeture de l'un des derniers médias indépendants.
Mars: Kem Sokha est condamné à 27 ans de prison, suscitant une condamnation internationale.
Mai: la commission électorale refuse d'enregistrer le Parti de la bougie, principale force d'opposition, pour les élections législatives de juillet.
1er Juillet: coup d'envoi de la campagne.
Sam Rainsy est interdit de se présenter pendant 25 ans après avoir incité les Cambodgiens à mettre un bulletin nul dans l'urne en signe de protestation. Plusieurs de ses partisans sont arrêtés.
«Une élection très déloyale»
Les détracteurs de Hun Sen l'accusent d'avoir fait reculer les libertés et utilisé le système judiciaire pour museler ses adversaires.
Les semaines précédant les législatives ont été marquées par le resserrement de sa poigne de fer envers ses opposants, privés de leur liberté ou en exil.
Entre répression politique, destructions environnementales et corruption rampante, Hun Sen a transformé en profondeur le petit royaume pauvre d'Asie du Sud-Est, dont l'économie dépend largement de la Chine et des aides internationales.
"Notre espoir d'(instaurer) une véritable démocratie s'estompe", confie à l'AFP Vanna, 30 ans, dans un café, refusant de livrer son identité complète. Les Cambodgiens ordinaires sont de plus en plus nerveux à l'idée de critiquer le gouvernement.
"Je pense que c'est encore une élection très déloyale", ajoute Vanna.
Lors du dernier scrutin national en 2018, le PPC de Hun Sen avait remporté tous les sièges après la dissolution par un tribunal du principal parti d'opposition.
Cette fois-ci, c'est le Parti de la bougie, seul rival crédible du Premier ministre, qui a été exclu de la course pour ne pas s'être enregistré correctement auprès de la commission électorale.
"Comme le Parti de la bougie ne pourra pas participer aux élections, ce ne sera pas libre et équitable", fait valoir Rong Chhun, vice-président du mouvement auprès de l'AFP, soulignant que les électeurs n'ont d'autre choix que de voter pour le PPC.
"L'absence du Parti de la bougie dans la course est un revers pour la démocratie et la liberté", souligne-t-il.
Minimiser le mécontentement
Pour les 17 partis encore en lice, difficile de rivaliser avec la véritable machine de guerre de Hun Sen, dont le parti est capable de réunir des dizaines de milliers de partisans offrant à la population des t-shirts et des casquettes à son effigie.
"Malgré cela, ils ont besoin de légitimité, ils cherchent à minimiser le mécontentement", explique à l'AFP l'analyste politique Virak Ou.
La méfiance s'est accrue au fur et à mesure que Hun Sen rapprochait son pays de la Chine. "Il comprend qu'il y a un risque en agissant ainsi et c'est pourquoi il est toujours très prudent", dit-il.
Mais une telle campagne ne dupe personne et permet juste à Hun Sen de prétendre que l'élection est légitime, estime Phil Robertson.
"En réalité, il a tout fait pour être certain de ne rencontrer aucune véritable opposition."