LE CAIRE: Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a accordé mercredi une grâce au chercheur Patrick Zaki et à Mohamed al-Baqer, l'avocat du détenu politique le plus célèbre du pays, au lendemain d'une levée de boucliers, notamment à l'étranger.
Mardi, deux mois et demi après l'ouverture d'un "dialogue national" censé redonner de la voix à une opposition laminée par dix années de répression, M. Zaki, 32 ans, a été condamné à trois ans de prison pour "fausses informations", puis incarcéré.
Après 22 mois de détention préventive, il s'était présenté libre devant une cour d'exception qui le jugeait pour la parution en ligne d'un article en 2019 dénonçant des "violations" des droits des Coptes, la plus importante minorité chrétienne du Moyen-Orient, représentant 10 à 15% des 105 millions d'Egyptiens.
Etudiant à l'Université de Bologne, en Italie, ce Copte égyptien est également chargé des questions de genre au sein de l'Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), une ONG des droits humains en Egypte.
Hossam Bahgat, fondateur de l'EIPR, a salué la grâce, annoncée par le quotidien d'Etat al-Ahram, et appelé "à la libération immédiate des milliers d'autres personnes détenues (...) pour des raisons politiques".
"Mohamed al-Baqer et Patrick Zaki n'auraient jamais dû passer un seul jour en prison pour leur travail en faveur des droits humains", a-t-il dit.
Des grâces présidentielles ont également été accordées à d'autres prisonniers, selon al-Ahram, qui n'a pas donné de noms.
«Dialogue national»
La Première ministre italienne Giorgia Meloni a salué la libération de Patrick Zaki et annoncé qu'il serait "de retour demain en Italie", dans un message vidéo.
La condamnation du chercheur avait suscité l'ire de Washington, du Commissariat des droits de l'Homme de l'ONU et de dizaines d'ONG.
De nombreuses voix en Egypte s'étaient aussi élevées. Plusieurs avocats des droits humains et cadres de partis libéraux s'étaient notamment retirés du "dialogue national" en signe de protestation.
Mardi soir, le coordinateur du "dialogue national", Diaa Rashwan, chef des services de communication de l'Etat, avait à son tour lancé un appel à la "libération immédiate" de Patrick Zaki pour montrer "l'engagement continu du président" à "un climat positif pour le succès" de cette initiative.
Il y a plusieurs semaines, il avait déjà plaidé pour la libération de Mohamed al-Baqer, condamné à quatre ans d'emprisonnement, lui aussi pour "fausses nouvelles".
Cet avocat de 42 ans avait été arrêté en 2019 alors qu'il assistait à l'interrogatoire de son client Alaa Abdel Fattah, blogueur prodémocratie et icône de la "révolution" de 2011, toujours détenu malgré une grève de la faim lors de la COP27 organisée par l'Egypte en novembre.
Depuis des années, le nom de ce détenu figure en tête de liste des libérations réclamées par les défenseurs des droits humains à travers le monde.
En avril, l'épouse de Me Baqer, Neamatallah Hisham, avait été placée brièvement en détention pour avoir affirmé en ligne que son mari avait été maltraité en prison, selon des défenseurs des droits humains.
Mercredi soir, elle a écrit sur Facebook: "Baqer sortira demain, le jour de son anniversaire".
«Terrorisme»
Patrick Zaki, arrêté en février 2020 pour "terrorisme" à son retour d'Italie, a été, lui, "frappé et torturé à l'électricité", assurent ses défenseurs.
Sous l'autocrate Hosni Moubarak (1981-2011), les libertés étaient restreintes pour les intellectuels, mais elles ont encore été réduites après l'arrivée au pouvoir de M. Sissi en 2014.
Depuis cette année-là, les autorités mènent une impitoyable répression contre les universitaires, mais aussi les journalistes, artistes, avocats, syndicalistes et militants politiques.
Après plusieurs années de sommeil, le pouvoir a réactivé mi-2022 en grandes pompes son comité des grâces présidentielles.
Côté face, il a fait libérer près d'un millier de prisonniers, répètent à l'envi les responsables. Mais, côté pile, dénoncent les ONG, presque "trois fois plus (de personnes) ont été arrêtées dans le même temps".
Les défenseurs des droits humains dénoncent un climat de répression où l'accusation de "fausses informations" ou de "terrorisme" peut être utilisée contre des opposants comme des citoyens ayant dénoncé la situation politique ou économique sur les réseaux sociaux.
Les autorités, elles, refusent de donner le nombre de personnes incarcérées dans le pays, tout en inaugurant régulièrement de nouvelles prisons.