AVIGNON, France : C'est l'un des manuscrits de Louis-Ferdinand Céline récemment retrouvés: «Guerre», qui dénonce l'absurdité du conflit de 1914-1918, est adapté pour la première fois au théâtre et présenté au Festival d'Avignon, un an après sa publication.
Le monologue s'ouvre par le réveil du brigadier Ferdinand, 20 ans, grièvement blessé mais en vie, sur un tapis de cendres - un champ de bataille dans les Flandres - une nuit de 1915: immédiatement, ce sont le sang, les obus, les rats, les fossés plein d'eau, et cette douleur...
«J'ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête», lance Ferdinand, interprété dans ce seul en scène par Benjamin Voisin («Eté 85» de François Ozon, «Illusions perdues» de Xavier Giannoli).
S'ensuit le récit - vraisemblablement écrit en 1934 - de son sauvetage par un soldat anglais, puis de sa convalescence non loin du front dans le nord de la France, l'hôpital, sa médaille militaire, les sorties au café, puis son départ en Angleterre.
«J'ai aimé la puissance de la langue de Céline, d'une grande oralité. Une langue argotique, poétique, drolatique», raconte à l'AFP le metteur en scène, Benoît Lavigne.
Malgré la noirceur du récit, le narrateur campe, avec la gouaille de Céline, une galerie de personnages parfois drôles: muni simplement d'un tabouret déplacé sur un plateau au décor très épuré, il incarne à tour de rôle ce jeune brigadier, touchant de naïveté, la prostituée Angèle, l'infirmière Mademoiselle L'Espinasse ou encore Cascade, au parler crû; là, le jeu de l'acteur n'est pas sans rappeler Jean-Paul Belmondo, en effet voulu.
- «Violenté par l'actualité» -
«J'ai une sorte de culte pour l'écriture de Céline», explique Benjamin Voisin, qui confie que ses livres figurent, «avec Dostoïevski ou Molière, sur (sa) table de chevet».
Elle comporte un «paradoxe: dès qu'on essaie de la prononcer, elle devient très écrite. Et, à la lecture, elle est oratoire».
«Pour un acteur de théâtre, c'est un des meilleurs exercices. Comment faire pour ne pas alourdir la phrase, pour qu'elle puisse être entendue telle que l'auteur l'a souhaité? C'est ce qui m'amuse», ajoute-t-il.
Le metteur en scène dit aussi avoir été «très violenté par l'actualité du livre de Céline». «C'était en 2022, la guerre en Ukraine venait de démarrer. Le parcours de ce jeune soldat qui est précipité sur le front de la boucherie de la Guerre de (19)14, à qui on avait promis que cela durerait 15 jours, cela m'a fait penser à ces jeunes soldats, ukrainiens ou russes, qui étaient sur des champs de bataille», poursuit-il.
«Quand je dis la phrase +Faudra pouvoir passer dans un pays où qu'on s'tue pas+, c'est évident, c'est comme un écho», abonde Benjamin Voisin.
A noter que les mots d'argot «bicot» et «sidi», à connotation raciste, présents dans le texte de Louis-Ferdinand Céline, n'apparaissent pas dans l'adaptation théâtrale. «Ce n'est pas une censure du texte» mais «il n'y avait pas d'intérêt dramaturgique à garder ce moment», précise M. Lavigne.
Cette création du «off» du festival d’Avigon, qui a reçu une ovation debout dimanche, sera notamment donnée à l'automne durant plusieurs semaines à Paris.