Il y a dix-huit ans, Londres subissait contre son système de transport public de multiples attaques menées par quatre musulmans d’origine britannique. Les attentats à la bombe ont tué cinquante-deux personnes et en ont blessé plus de sept cents. Moins de quatre ans après les attentats du 11-Septembre, les événements de cette journée ont plongé le Royaume-Uni dans un état de choc.
À l’époque, les communautés musulmanes britanniques n’en avaient pas saisi les implications. Il régnait un sentiment de déni collectif. Une dizaine d’années plus tard, les musulmans britanniques avaient fait d’énormes progrès, comme l’illustrent les deux victoires électorales à la mairie de Londres du Britanno-Pakistanais Sadiq Khan. Ce dernier est devenu le premier maire musulman élu d’une capitale occidentale. Il représente un véritable exemple pour les musulmans britanniques: il leur a montré qu’eux aussi pouvaient atteindre des sommets dans la Grande-Bretagne du XXIe siècle.
Cependant, cela ne signifie pas que les préjugés antipakistanais et antimusulmans sont morts, loin de là. En réalité, lors de sa première campagne électorale, l’opposant conservateur Zac Goldsmith a été accusé d’instrumentaliser les attitudes antimusulmanes, notamment au sein des communautés indiennes britanniques de Londres.
Mais l’ampleur des abus a été mise en évidence de manière dévastatrice dans un rapport publié la semaine dernière par l’Autorité du Grand Londres. Son analyse montre que M. Khan a reçu plus de 300 000 «injures ouvertement racistes ou racistes» sur les réseaux sociaux depuis qu’il a été élu maire de Londres. «Ce n’est pas juste que l’une des conséquences de mon poste de maire de Londres et mon rôle de musulman dans la vie publique soit la protection policière», avait-il déclaré précédemment.
La plupart des abus provenaient de l’extérieur du Royaume-Uni – ce qui montre à quel point le rôle du maire de Londres est devenu international –, et la majorité d’entre eux venaient des États-Unis. Les attentats terroristes à Manchester et à London Bridge ont également alimenté les injures contre M. Khan et beaucoup ont tenté de le blâmer pour ces atrocités.
On craint que 2023 soit la pire année depuis 2020: M. Khan a été victime de 171,8% d’abus de plus qu’il n’en avait eu pendant la même période en 2022. Pourquoi donc? Ce qui peut expliquer en partie ce chiffre, c’est qu’il y a eu une énorme augmentation du nombre d’abus émanant de l’Inde. Est-ce le résultat du torrent de politiques islamophobes sur le sous-continent indien? Le rapport montre un pic lors de la campagne de réélection du Premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi, en 2019.
Mais les abus en provenance du Royaume-Uni ont également augmenté. Cela représentait environ 75% de tous les harcèlements racistes de ces dernières années. Le défi est tout autant national. Notez aussi que le nouveau Premier ministre écossais, Humza Yousaf, un autre musulman britannique d’origine pakistanaise, est depuis longtemps victime de très nombreuses discriminations.
Il semble à présent que M. Khan soit attaqué en raison d’une décision politique majeure relative aux émissions des voitures et à la qualité de l’air. Au mois de mars, près de 10% de tous les abus racistes dont il a été victime étaient liés à la zone à très faibles émissions.
Pourquoi une politique de contrôle de la qualité de l’air devrait-elle déclencher une telle haine? La réalité est que le racisme et le sectarisme ont toujours existé, mais une politique impopulaire ouvre les robinets de la haine. Plus de la moitié des abus provenaient de l’extérieur de Londres, ce qui indique que ce problème n’est qu’une excuse pour que les racistes se lâchent. C’est aussi le signe que le discours politique civilisé et raisonnable est un art en voie de disparition. D’ailleurs, s’il existe, il n’attire aucune attention dans un monde qui a soif de retweets et de likes.
Sadiq Khan a reçu plus de 300 000 «injures ouvertement racistes ou racistes» sur les réseaux sociaux.
Chris Doyle
Twitter fait partie des premiers coupables. Il suffit de consulter rapidement les tweets qui citent M. Khan. Il y en a de toutes sortes. En réponse aux commentaires de M. Khan sur l’anniversaire des attentats de Londres, on peut lire ce qui suit: «C’est votre race qui a fait ça.» Cela n’est qu’un exemple puisé dans le torrent d’insultes lancées contre M. Khan, l’islam et les musulmans, dont la plupart ne sauraient être publiées dans un article respectable. Comme le souligne le rapport de l’Autorité du Grand Londres, de nombreuses mentions évoquent le «Khanage» et le «Londonistan».
Le niveau d’abus est sous-déclaré. L’analyse de l’autorité en question n’inclut que les injures qui ciblent directement et explicitement M. Khan. Elle précise: «Si nous devions élargir nos critères de recherche pour y inclure d’autres types d’abus, les nombres seraient beaucoup plus importants [et approcheraient un million de messages].»
À une époque où beaucoup ont les yeux rivés sur Threads, la nouvelle application de Meta, ce rapport met en évidence l’échec persistant des principaux réseaux sociaux à lutter contre la haine en ligne. De nombreux Tweets qui attaquent M. Khan auraient dû mériter une sanction, par exemple la suspension des comptes.
Mais cela ne se limite pas à l’univers des réseaux sociaux. La plupart des médias de droite n’ont même pas pris la peine de couvrir le rapport sur les abus racistes contre M. Khan. Au contraire, The Daily Telegraph, le principal journal de droite, a faussement allégué l’année dernière que M. Khan avait interdit d’installer une statue de la reine Elizabeth à Trafalgar Square, ce qui a conduit à une flambée des propos haineux.
La classe politique n’a pas aidé non plus. Il est difficile de trouver une quelconque condamnation de ces abus de la part des dirigeants politiques de droite. Il semble que le Premier ministre, Rishi Sunak, n’ait rien dit. Même en tant que Premier ministre d’une minorité ethnique, il ne s’est pas tenu à l’écart des guerres culturelles que certains de ses prédécesseurs aimaient attiser, en particulier Boris Johnson. Les émeutes de masse en France du mois dernier après le meurtre d’un garçon franco-algérien de 17 ans viennent nous rappeler que le fait de ne pas lutter contre la haine antimusulmane constitue un danger.
Ce nouveau rapport ne met en évidence qu’une petite partie des abus dirigés contre un seul homme. M. Khan est peut-être un aimant à haine en raison de son statut, mais six millions d’autres musulmans britanniques sont confrontés au même sectarisme chaque jour. Pour eux, rien de tout cela n’est surprenant.
Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding (Caabu), basé à Londres. Il a travaillé auprès de ce conseil depuis 1993 après avoir obtenu un diplôme spécialisé en études arabes et islamiques avec distinction honorifique à l’université d’Exeter. Il a organisé et accompagné les visites de nombreuses délégations parlementaires britanniques dans les pays arabes.
Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com