AVIGNON : Elle a été la première esclave autochtone à poursuivre en justice le pouvoir colonial : le Festival de théâtre d'Avignon revisite l'histoire de Marguerite Duplessis dans un spectacle qui se veut aussi un "miroir" aux drames plus récents qui ont touché les autochtones au Canada.
La pièce "Marguerite: le feu" est l'oeuvre d'Emilie Monnet, artiste canadienne d'origine anichinabée, ensemble de nations autochtones d'Amérique du nord. Elle avait découvert la vie de l'amérindienne Marguerite Duplessis lors d'une visite de la compagnie "L'Autre Montréal", qui fait découvrir les histoires les moins connues de la ville.
"Son histoire m'a bouleversée, m'a habitée; j'étais au courant de l'esclavage en Nouvelle-France, mais pas de son ampleur", raconte-t-elle à l'AFP, en référence à l'ensemble de territoires coloniaux français d'Amérique du Nord (1534-1763).
Originaire de la nation des Pawnee, tribu indigène établie à l'ouest du Mississippi, Marguerite a été probablement capturée enfant dans l'Iowa avant d'être vendue à plusieurs propriétaires en Nouvelle-France.
Lorsqu'un nouveau maître décide de la déporter en Martinique (la revente d'esclaves autochtones aux Antilles était un commerce lucratif) sous prétexte qu’elle est une voleuse et une libertine, elle se rebelle et devient la première autochtone en esclavage à entamer des poursuites judiciaires, en 1740, contre le pouvoir colonial.
Marguerite d'hier et d'aujourd'hui
La pièce d'Emile Monnet, portée par elle-même et trois autres comédiennes, retrace une partie de ce procès historique, dont la transcription a été préservée.
Marguerite prétendra qu'elle est la fille naturelle de son premier maître français, Duplessis, et qu'elle est donc une femme libre. Elle perdra son procès et disparaîtra par la suite, sans laisser de traces.
"Ce procès, c'était un énorme exploit; c'est grâce à d'autres Marguerite que les droits des peuples autochtones ont évolué", affirme Emilie Monnet.
"Les seules informations étaient les archives, et son nom tracé de sa main, donc il fallait remplir les trous", explique-t-elle.
Pendant une heure, les quatre comédiennes vêtues de cardigans indiens colorés, égrènent le destin de Marguerite Duplessis, et énumèrent à un moment donné les noms de propriétaires d'esclaves.
La performance est ponctuée de chants et de danses autochtones, devant des projections vidéo abstraites.
"Ne jamais oublier, les morts aiment nous entendre chanter", disent-elles vers la fin du spectacle.
"Je dresse un portrait d'une réalité d'hier pour faire le miroir avec le monde d'aujourd'hui", dit Emilie Monnet, qui s'est basée dans ses recherchers sur les ouvrages de Marcel Trudel, notamment "L'esclavage au Canada français".
L'artiste multidisciplinaire regrette que "malgré d'énormes efforts et initiatives, l'histoire de l'esclavage au Québec", qui concernait davantage des populations autochtones que les esclaves noirs venus de la traite atlantique, "reste peu connue de nos jours".
Pour elle, "il y a les Marguerite d'aujourd'hui", en référence notamment aux cas tristement célèbres des femmes autochtones disparues et assassinées depuis les années 80 au Canada.
Emilie Monnet évoque également les "discriminations qui subsistent encore à l'égard des autochtones", notamment au niveau de l'accès à l'eau potable ou aux soins hospitaliers, rappelant le cas de Joyce Echaquan qui avait choqué le pays en 2020.
Cette femme atikamekw morte dans un hôpital du Québec avait, avant son décès, enregistré une vidéo sur Facebook dans laquelle on entend des deux membres du personnel hospitalier lui crier des injures racistes.
Un rapport soulignera "l'existence du racisme systémique au sein des institutions" du Québec à l'égard des autochtones.