Il ne faut pas sous-estimer les risques et les menaces qu'un conflit prolongé et aggravé au Soudan peut représenter, non seulement pour cette nation africaine, mais aussi pour la région de la Corne de l'Afrique et au-delà.
Tout d'abord, il est important de souligner que l'augmentation de la violence et du conflit au Soudan peut fournir un cadre propice à l'émergence, à la mobilisation, au recrutement, à la croissance et à la montée en puissance des groupes terroristes.
Le mode opératoire des groupes terroristes tels qu'Al-Qaïda est généralement lié aux actions visant à déstabiliser davantage un pays ou une région et à engendrer le chaos, offrant ainsi un terrain propice que les groupes terroristes peuvent exploiter et dans lequel ils peuvent prospérer. Nous avons été témoins de ce phénomène au Moyen-Orient, où certains groupes terroristes ont tenté d'utiliser le conflit pour diviser les communautés, poursuivre un objectif sectaire, capitaliser sur les peurs des gens et semer la discorde entre les communautés chiites et sunnites afin de gagner du pouvoir et du contrôle.
Un deuxième problème est que les groupes terroristes sont capables de trouver des alliés étatiques ou non étatiques prêts à leur fournir des fonds, une assistance et des conseils militaires, des renseignements et une formation. Cela accroît encore la menace qu'ils représentent dans la région et à l’échelle mondiale.
À travers le prisme de l'école de pensée réaliste en sciences politiques, chaque fois qu'un conflit éclate dans un pays, les États réagissent différemment. Certains sont susceptibles de considérer le conflit et l'instabilité sous l'angle de l'opportunisme politique. En conséquence, ils peuvent soutenir certains groupes spécifiques et intervenir directement ou indirectement par le biais d'un soutien financier, militaire, consultatif, de renseignement ou politique afin de modifier l'équilibre des forces et d'utiliser le conflit pour leurs propres intérêts géopolitiques, stratégiques et géoéconomiques.
Les groupes terroristes peuvent faire pression pour prendre le pouvoir ou avoir un droit de regard sur les nouvelles institutions politiques du pays.
Majid Rafizadeh
D'autres pays tenteront de résoudre le conflit par la voie diplomatique, comme l'initiative de l'Arabie saoudite au Soudan – la Déclaration d'engagement de Djeddah pour la protection des civils du Soudan. D'autres États essaieront seulement d'empêcher le débordement du conflit sur leur propre territoire.
Après avoir acquis du pouvoir et de l'élan, les groupes terroristes peuvent tenter de prendre le pouvoir ou d'avoir leur mot à dire dans les nouvelles institutions politiques du pays. Parmi les autres objectifs possibles figurent l'établissement d'une suprématie, la promotion d'ambitions hégémoniques, la réalisation d'objectifs idéologiques et de politique étrangère spécifiques et l'exportation de leur idéologie vers d'autres pays. En outre, certains groupes terroristes sont utilisés dans le cadre d'une guerre asymétrique.
Après avoir trouvé un refuge, les groupes terroristes peuvent également créer des réseaux complexes afin de faciliter leurs opérations dans plusieurs pays et d'utiliser le cyberterrorisme pour mener des attaques contre plusieurs entités gouvernementales, non gouvernementales et du secteur privé. Ils essaieront aussi probablement de trouver davantage d'alliés, indépendamment de leur nature religieuse, tant que ces derniers partagent l'idéologie et les objectifs du groupe. On peut citer comme exemple certains groupes terroristes qui opéraient non seulement en Irak, mais aussi en Syrie et dans d'autres pays.
L'autre point essentiel est que le nombre de groupes terroristes et de milices continuera d'augmenter à mesure que les conflits s'intensifieront. Au cours de la dernière décennie, le monde a pu constater que les conflits prolongés en Syrie et en Irak ont conduit à la montée en puissance de groupes terroristes tels que Daech, qui ont fait des progrès remarquables et contrôlé une grande partie du territoire.
Le Soudan, en particulier, se trouve dans une position très vulnérable lorsqu'il s'agit d'être exploité par des groupes terroristes.
Majid Rafizadeh
Le Soudan, en particulier, se trouve dans une position très vulnérable lorsqu'il s'agit d'être exploité par des groupes terroristes, en raison de sa situation socio-économique, de son manque d'appareils de sécurité puissants, de sa pauvreté généralisée ainsi que de sa situation géographique.
En outre, le Soudan ne dispose pas de stratégies antiterroristes efficaces, telles que les politiques productives mises en œuvre dans les pays du Golfe, notamment en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis (EAU). Comme l'explique un rapport publié en 2020 par l'organisation Rand: «La situation géographique du Soudan en fait une porte d'entrée potentielle pour relier les centres d'activités militantes d'Afrique du Nord, d'Afrique centrale et d'Afrique de l'Est. Cela est d'autant plus vrai que les déplacements à travers les frontières du pays ne sont pas difficiles. La plupart des passages terrestres sont très informels ou, en raison de leur longueur, ne sont pas surveillés. Lorsqu'il existe des postes officiels, ils sont généralement dépourvus de personnel et sous-équipés, et ils s'appuient principalement sur des registres papier pour enregistrer les détails concernant les entrées et les sorties du pays. Les groupes militants pourraient exploiter cette situation afin d’établir des bases arrière utilisées pour soutenir et faciliter le mouvement des agents sur les différents lieux de conflit.»
Outre le terrorisme, une deuxième menace est liée à l’impact humanitaire du conflit soudanais, qui se manifeste notamment par les privations et la faim qu'il a infligées à des personnes de tous âges.
La troisième question importante et le troisième risque sont les déplacements massifs de population que ces conflits provoquent. L'escalade du conflit au Soudan a déjà de graves répercussions non seulement sur le peuple soudanais, mais aussi sur la stabilité et la sécurité de plusieurs autres nations de la région.
Les menaces que le conflit soudanais peut engendrer ne doivent donc pas être sous-estimées. L'une des plus grandes menaces est qu'il pourrait créer un cadre propice à la montée en puissance des groupes terroristes et leur permettre d'infliger des dommages non seulement au Soudan, mais aussi au-delà de ses frontières. C'est pourquoi il est essentiel que la communauté internationale agisse immédiatement afin de trouver une solution permanente à la crise au Soudan. Plus un conflit dure, plus il est difficile de rétablir la paix, la stabilité et la sécurité dans le pays concerné.
Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard.
Twitter : @Dr_Rafizadeh
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.