PARIS: Les manifestations du 11 décembre 1960 représentent une date historique et un tournant majeur dans la revendication du peuple algérien pour l’indépendance du pays. Il y a soixante ans, à la même date, et pendant trois semaines consécutives, l’Algérie, sous colonisation française, a connu un soulèvement populaire général. Une révolte qui a anéanti les projets et les espoirs de tous ceux qui souhaitaient maintenir le pays sous le joug du colonialisme.
«Les manifestations populaires du 11 décembre qui ont éclaté dans plusieurs villes d’Algérie ont contraint la France coloniale et les Nations unies à reconnaître le droit à l’autodétermination du peuple algérien, lui permettant ainsi d’arracher l’indépendance en 1962», confirme Mathieu Rigouste, un sociologue et chercheur indépendant français dans un entretien accordé à l’Agence presse service (APS).
Le sociologue explique que les manifestations du 11 décembre 1960 ont mis à terre «le projet de putsch militaire de l’extrême droite-droite coloniale», car, selon le chercheur, le peuple algérien a su démontrer à l’opinion internationale et aux institutions comme l’Organisation des Nations unies son adhésion et son soutien au projet de l’autodétermination. En effet, ces événements se sont déroulés à quelques jours du 19 décembre 1960, date à laquelle l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies devait étudier la question algérienne.
Pour rappel, le 19 décembre, l’Assemblée générale des Nations unies vote la résolution 1573 (XV) reconnaissant au peuple algérien son droit à la libre détermination et à l’indépendance.
Un peuple déterminé qui aspire à la liberté
Mathieu Rigouste explique que, après «la bataille d’Alger» en 1957, la France pensait avoir «anéanti toute opposition en Algérie», cependant, le 22 décembre 1960, le peuple décide de démontrer le contraire. Des femmes, des hommes et des enfants venus par milliers des quartiers populaires et des bidonvilles défilent dans les quartiers du centre des villes, généralement occupés par les coloniaux. Malgré la répression, la population algérienne maintient ses manifestations durant plusieurs semaines.
«Le peuple s’est approprié les espaces qui lui étaient interdits par les colons. Nos ainés se sont soulevés pour reprendre leur destin en main, pour en finir avec la soumission, l’arbitraire et l’injustice du colonialisme qui a duré trop longtemps», nous confie Mohammed, un Franco-Algérien qui a vécu ces événements étant enfant.
«On affronte les Européens, mais on chante et on danse, aussi. En reprenant les rues à l’occupant, on se réapproprie les villes, c’est une manière de commencer à faire exister concrètement l’indépendance en libérant aussi son corps. C’est une insurrection des muscles et des nerfs jusque-là contraints par la domination coloniale telle que la décrit Frantz Fanon dans Les Damnés de la terre», écrit Mathieu Rigouste.
En effet, selon le sociologue «les troupes de l’armée ont été déployées, et, avec l’accord des autorités politiques, elles ont tiré et tué, raflé et torturé». De leur côté, les autorités publiques ont reconnu officiellement «120 morts, dont 112 Algériens, et des centaines de blessés», explique-t-il.
Un projet colonial de troisième voie anéanti
Le sociologue français rappelle que ces manifestations se sont déroulées alors que le général de Gaulle effectuait une visite, du 9 au 12 décembre 1960, pour «promouvoir son projet colonial de la troisième voie», un projet «calqué sur les modèles imposés dans les anciennes colonies françaises», explique Mathieu Rigouste, qui «consistait à placer au pouvoir une classe dirigeante inféodée à l’État français et chargée de mettre en œuvre une nouvelle forme de vassalisation économique».
«Après les soulèvements, l’étau militaire est desserré dans les montagnes. Charles de Gaulle ordonne l’arrêt des exécutions, abandonne le projet de troisième voie et doit se résoudre à négocier avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA)», raconte le chercheur.
«Un seul héros, le peuple», un travail de recherche de sept ans
Mathieu Rigouste a mené une longue enquête de sept ans sur cet événement historique.
Résultat des recherches: un livre, un site, unseulheroslepeuple.org, et un film portant le même titre, Un seul héros le peuple.
À l’occasion de la célébration de la date anniversaire, le film est disponible en accès libre du 10 au 15 décembre 2020 sur le site unseulherolepeuple.org.
Le chercheur ajoute que cette histoire est méconnue. Hormis la publication de la revue algérienne Naqd, en 2010, à l’occasion du 50e anniversaire, il n’existe aucune enquête socio-historique sur cet événement majeur de l’histoire du pays. Selon Mathieu Rigouste, côté français c’est aussi le statu quo, ces événements ne sont pas reconnus dans l’histoire officielle.
«Dans la mémoire algérienne, cette histoire est transmise et racontée, car elle représente un symbole fort, le symbole d’un peuple qui a entièrement et totalement épousé la cause», explique Malika, une Franco-Algérienne passionnée par l’histoire commune de l’Algérie et de la France, ses deux pays, qui souhaite que le travail de mémoire entre les deux pays soit mis œuvre au plus vite. «Soixante ans après, il est plus qu’urgent de faire ce travail ensemble, car, encore aujourd’hui, nos destins sont liés, et nos histoires méconnues», ajoute-t-elle.