CANNES: "Prisonniers en terre d'exil": Cannes a inauguré samedi une exposition en mémoire des 3 000 à 4 000 Algériens déportés au Fort-Royal de l'île Sainte-Marguerite, à quelques encablures de la ville, lors de la conquête de l'Algérie par la France au XIXe siècle.
"C'est la redécouverte d'une Histoire qui avait été perdue pendant deux générations", explique Christophe Roustan Delatour, le commissaire de l'exposition.
Ce n'est en effet que récemment, dans les années 1970, que des ouvriers harkis de l'Office national des forêts (ONF) chargés d'une opération de débroussaillage avaient reconnu, sous la végétation, des tombes musulmanes, toutes en forme de cercle délimitées par des pierres à même le sol.
Succédant à des prisonniers politiques français comme le célèbre homme au masque de fer ou encore des pasteurs protestants, les Algériens détenus ici entre 1841 et 1884 constituaient souvent des monnaies d'échange pris en otage pour obliger les opposants à la colonisation française à se rendre.
Ce fut ainsi le cas de la "smala" d'Abd-el-Kader, l'émir qui avait fédéré dans les années 1840 tous les opposants à la colonisation. Près de 500 de ses proches ont été internés à Cannes jusqu'à sa reddition en 1848.
Dans les années suivantes ont suivi de nombreux opposants aux desseins des colonisateurs ou leurs familles, accompagnés parfois de leurs serviteurs, tous déportés sur l'île de façon arbitraire, sans jugement et sans connaître la durée de leur emprisonnement. Après 1884, la déportation vers Cannes a été arrêtée au profit de destinations jugées plus sûres pour les éloigner, comme la Nouvelle-Calédonie.
Parmi ces hommes, femmes et enfants qui ont été détenus sur l'île, parfois pendant plusieurs années, 274 sont décédés sur place, comme en atteste la présence près du fort d'un cimetière musulman, un des plus anciens de France avec celui d'Amboise.
«Un cas de micro-histoire»
L'exposition du musée du Masque de Fer et du Fort-Royal, jusqu'au 29 octobre, retrace, à partir de nombreux documents d'archives, de peintures de l'époque et des premières photographies, la vie quotidienne de ces détenus sur cette île de quelques centaines de mètres de long.
Lors du vernissage samedi étaient d'ailleurs présents des membres du collectif des associations de harkis des Alpes-Maritimes.
"C'est un cas de micro-histoire qui permet d’aborder, à partir d'un lieu, toute l'Histoire elle-même", note l'historienne Anissa Bouayed qui, pendant un an, s'est penchée sur une quinzaine de volumineux cartons d'archives pour établir, notamment, la liste nominative des 274 Algériens décédés et inhumés sur l'île.
"A travers ces documents issus de l'armée française, avec des lettres de prisonniers, des rapports de médecins ou d'autres relatant les évasions, on peut comprendre quels groupes sociaux on a fait venir ici et dans quelles circonstances", dit-elle en notant l'importance, "au-delà du travail historique", de pouvoir, pour une "question d'humanité", citer les noms des 274 décédés, via un enregistrement diffusé pendant la visite.
"C'est un projet que nous avons initié il y a cinq ans et que nous avons tenu secret jusqu'à présent pour des raisons évidentes de sensibilité mémorielle", a souligné lors du vernissage David Lisnard, le maire de Cannes, qui projette après cette exposition-hommage de mettre en valeur le cimetière musulman de l'île, une fois l'accord des services de l'Etat obtenu.
"Nous avons en parallèle obtenu un accord de principe des autorités algériennes pour réhabiliter en Algérie un cimetière chrétien", a aussi indiqué l'élu pour qui "dire les choses" reste "la meilleure façon de les apaiser" dans le contexte actuel de tensions entre la France et l'Algérie.