WASHINGTON: Les chercheurs et think tanks qui étudient la désinformation aux Etats-Unis disent faire face à une campagne judiciaire acharnée de la part des conservateurs, qu'ils dénoncent comme une tentative d'intimidation à l'approche de la prochaine élection présidentielle américaine.
L'étude de la désinformation est vue comme une ressource utile en vue de cette échéance électorale, mais les principaux chercheurs dans ce domaine sont la cible d'actions en justice de groupes conservateurs, et d'enquêtes de la part d'élus républicains.
Ces universitaires, y compris d'établissements réputés comme Stanford ou l'université de Washington, ont travaillé sur des sujets sensibles, comme la contestation des résultats de l'élection présidentielle de 2020 par Donald Trump, ou les théories du complot concernant les vaccins contre la Covid-19.
Ils sont accusés par certains politiques de collaborer avec le gouvernement pour censurer les discours conservateurs.
La commission judiciaire de la Chambre des représentants, à majorité républicaine, a réclamé à certains chercheurs leurs e-mails échangés avec des responsables gouvernementaux ou de réseaux sociaux remontant à 2015, selon des documents consultés par l'AFP.
Des requêtes qui prennent énormément de temps, et engagent des frais juridiques, dénoncent des universitaires.
"Cela a un effet décourageant important sur le travail fait pour étudier différentes formes d'informations fausses ou trompeuses", a déclaré un de ces chercheurs à l'AFP. "Les gens sont tellement pris par les réponses à ces requêtes que leur travail s'est quasiment arrêté pour la plupart d'entre eux."
En plus des menaces auxquelles les chercheurs font régulièrement face dans un pays ultra-polarisé politiquement, ces stratégies consistent en une "tactique de harcèlement" ayant des conséquences sur leur moral, selon un autre universitaire.
L'AFP a interviewé quatre d'entre eux, qui ont souhaité que leur nom ne soit pas publié pour leur sécurité.
Plaintes
"Il est notable et très troublant qu'un groupe parlementaire qui prétend enquêter sur la censure intimide des chercheurs", a commenté Jameel Jaffer, avocat spécialisé dans la défense de la liberté d'expression à l'université Columbia.
Dans une déclaration à l'AFP, l'université Stanford s'est dite "extrêmement préoccupée par les efforts actuels pour entraver la liberté de recherche et discréditer des travaux légitimes et nécessaires".
En mai, America First Legal, une organisation ayant à sa tête un ancien conseiller de Donald Trump, Stephen Miller, a saisi la justice en Louisiane pour frapper le coeur de ce qu'il appelle un "système de censure": des universitaires, mais aussi des chercheurs de think tanks, comme l'Atlantic Council.
L'un des plaignants est Jim Hoft, fondateur du site conspirationniste Gateway Pundit.
Pour le groupe de défense de la liberté d'expression PEN America, il s'agit "d'une tentative calculée de réduire au silence la recherche universitaire et d'entraver le combat contre la désinformation".
Des chercheurs de Stanford font l'objet d'une autre plainte au Texas venant de personnes anti-vaccins. Selon elles, le signalement de leurs publications comme de la désinformation et leur suppression s'apparente à une "censure de masse".
«Coups tordus»
Les organisations travaillant sur la désinformation réfutent avoir le pouvoir de supprimer ces publications, et nient toute collusion avec le gouvernement.
C'est malgré tout l'angle d'attaque de la commission parlementaire dirigée par l'influent élu républicain Jim Jordan, qui n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP.
Allié de Trump, il a accusé ces organisations de "censure du discours non-apprécié".
Le mois dernier, un sous-comité dont il est à la tête a avancé dans un rapport qu'une agence de cybersécurité du gouvernement s'était mobilisée pour censurer les Américains, de concert avec la "Big Tech".
Dans ce contexte, l'administration Biden a fait marche arrière sur certaines de ses initiatives pour contrer la désinformation.
L'été dernier, un Conseil de gouvernance sur la désinformation, qui était qualifié de "ministère de la Vérité" par les conservateurs, en référence à l'ouvrage "1984" de George Orwell, a été dissous.
En février, l'organisation National Endowment for Democracy (NED), soutenue par le Département d'Etat américain, a déclaré arrêter de financer l'ONG Global Disinformation Index (GDI), qui lutte contre la désinformation.
Cette annonce a fait suite à une campagne d'élus républicains, dont Jim Jordan, ayant accusé le GDI de "secrètement chercher à priver de financements les médias conservateurs".
Pour de nombreux chercheurs en désinformation, ces actions à leur encontre sont une stratégie de la part de la droite en amont de l'élection présidentielle de novembre 2024.
"Si vous voulez vous en sortir avec des coups tordus l'année prochaine, vous devez vous débarrasser de cet espace" de recherche, a déclaré un chercheur à l'AFP. "Le but est de s'assurer que personne n'examine le terrain avant la prochaine élection."